Responsabilité du gestionnaire dans le cadre d’un bail social conventionné

A propos d’un arrêt de la Cour d’appel de Grenoble du 7 octobre 2025 *

Les dispositifs de location conventionnée, tels que les baux ANAH, offrent un cadre fiscal avantageux au bailleur, mais en contrepartie d’un formalisme strict. Lorsqu’il délègue la gestion à un administrateur de biens, ce dernier doit non seulement respecter la réglementation générale, mais aussi les contraintes propres au régime choisi. L’arrêt rendu par la cour d’appel de Grenoble le 7 octobre 2025 le rappelle avec netteté : un gestionnaire qui n’anticipe pas la fin d’une convention ANAH commet une faute de conseil engageant sa responsabilité.


L’affaire

En 2015, le bailleur signe avec l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) une convention à loyer social pour six ans, prenant effet au 12 juin 2015 et expirant le 12 juin 2021. Le même mois, il confie la gestion de son bien à une agence immobilière sociale, assurée en responsabilité civile auprès d’un assureur. Un bail d’habitation est conclu le 12 juin 2015 avec un locataire, pour trois ans, au loyer conventionné de 397,40 € (hors charges). Ce bail est tacitement reconduit en 2018 pour une nouvelle période de trois ans, jusqu’au 12 juin 2021 — soit la date même d’expiration de la convention ANAH.

À la fin de l’année 2020, le bailleur indique à l’agence vouloir sortir du dispositif et réévaluer le loyer à 660 €. Mais la notification adressée au locataire par l’agence, datée du 16 décembre 2020, intervient trop tard : la loi (art. 17-2 de la loi du 6 juillet 1989) impose d’agir au moins six mois avant le terme, soit avant le 12 décembre 2020. Le délai étant dépassé, le bail s’est reconduit tacitement, au loyer conventionné, pour trois ans supplémentaires.

Le tribunal judiciaire de Grenoble avait rejeté la demande d’indemnisation du bailleur. La cour d’appel infirme le jugement, retient la faute du mandataire et condamne son assureur à réparer la perte de chance.


La solution

La cour d’appel de Grenoble rappelle d’abord que :

« L’agent immobilier en charge d’un mandat de gestion locative est tenu d’un devoir de conseil envers son mandant, quelle que soit la compétence de ce dernier ; cette obligation, qui est une obligation de moyens, doit s’apprécier en fonction des circonstances. »

Il appartient donc à l’agent de démontrer qu’il a satisfait à ce devoir de conseil et de renseignement. Or, souligne la cour, l’agence connaissait la nature du bien :

« Le mandat de gestion mentionnait expressément que l’appartement devait être loué dans le respect des plafonds de ressources et de loyers “ANAH – dispositif Loca++”. »

De ce fait, le gestionnaire ne pouvait ignorer les conséquences du régime applicable :

« En tant qu’administrateur professionnel de biens, il lui incombait d’attirer l’attention de son mandant sur les effets de ce bail dérogatoire et de recueillir, six mois avant le terme du contrat, ses instructions sur le sort du bail à l’échéance de la convention. »

Le courrier adressé au locataire le 16 décembre 2020 étant postérieur à la date limite, la cour conclut à une faute par abstention :

« L’agence ne démontre pas avoir accompli les démarches nécessaires ; son intervention, au-delà du délai de six mois, est tardive. Elle n’a pas satisfait à son mandat. »

La défense de l’agence — invoquant un prétendu refus du locataire — est également écartée :

« Le refus du locataire de signer un nouveau bail n’est aucunement démontré. »

En conséquence, l’agence et son assureur sont condamnés in solidum à verser 3 000 € au bailleur, au titre de la perte de chance d’obtenir un loyer réévalué :

« Le préjudice financier du bailleur s’analyse en une perte de chance, justement indemnisée par l’allocation d’une indemnité de 3 000 €. »

L’arrêt illustre ainsi la rigueur du devoir de conseil du mandataire : non seulement informer, mais anticiper, alerter et formaliser.


En pratique

Le bail social n’est pas un “sous-bail” : il impose au contraire une vigilance renforcée. La complexité du dispositif ne saurait être un prétexte ; elle fait partie intégrante du mandat.

L’administrateur de biens qui accepte de gérer un logement conventionné doit en comprendre la mécanique : la durée de la convention, les effets sur le bail, les délais de notification. Son rôle n’est pas d’attendre les instructions, mais de garantir la cohérence du dispositif.

Car le mandat de gestion repose sur une loyauté réciproque : loyauté envers le bailleur, loyauté envers la loi, loyauté envers la logique du régime choisi. Le professionnel n’est pas gardien d’un simple loyer ; il est garant d’un équilibre — celui du contrat, du cadre fiscal et de la confiance?

 

* CA Grenoble, ch. civ. sect. a, 7 oct. 2025, n° 24/00780