Perfection de la vente et autonomie du droit à rémunération de l’agent immobilier

A propos d’un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 17 octobre 2025 *

L’agent immobilier se retrouve parfois dans une position inconfortable : il a mené la négociation, obtenu un compromis signé, mais la vente s’effondre à la dernière minute — sans qu’il en soit responsable. Dans ces situations, la tentation du vendeur est grande : refuser de réitérer, espérant échapper à toute conséquence.

L’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 17 octobre 2025 rappelle que ce calcul est vain. Il fait une application classique de la jurisprudence : une fois la condition suspensive levée, la vente est parfaite. L’acquéreur peut alors choisir entre l’exécution forcée ou l’indemnisation prévue par la clause pénale. Mais ce choix — poursuivre ou non la vente — n’a aucune incidence sur le droit à rémunération de l’agent immobilier, qui a accompli sa mission en faisant conclure la vente.


L’affaire

Un vendeur confie à une agence un mandat exclusif pour la vente d’un bien au prix de 334 000 €. Un compromis est signé avec des acquéreurs, sous condition suspensive d’obtention de prêt. L’offre de financement, conforme au compromis, est obtenue dans les délais.

Mais le vendeur se rétracte : il ne se présente pas à la convocation du notaire, et un procès-verbal de carence est dressé. Les acquéreurs réclament alors l’application de la clause pénale (10 % du prix), tandis que l’agence sollicite le paiement de la commission convenue (13 000 €). Le tribunal judiciaire de Créteil accueille leurs demandes ; la cour d’appel de Paris confirme intégralement le jugement.


La solution

1️⃣ La clause pénale : le refus du vendeur suffit

La cour rappelle que la clause pénale s’applique de plein droit en cas de refus de signer l’acte authentique :

« Sauf cas de force majeure, le seul manquement du débiteur à son obligation suffit à la mise en œuvre de la clause pénale, sans qu’il soit besoin de prouver un préjudice. »

Le montant de 10 % du prix n’étant pas manifestement excessif, la condamnation du vendeur à verser 33 200 € aux acquéreurs est confirmée. Cette décision repose sur la constatation que la condition suspensive d’obtention du prêt était réalisée :

« La condition suspensive d’obtention du prêt est réputée réalisée dès la présentation d’une offre régulière correspondant aux caractéristiques convenues ; les dispositions protectrices du Code de la consommation ne pouvant être invoquées que par l’acquéreur. » (Civ. 1re, 14 janv. 2010 ; Civ. 3e, 24 sept. 2003)

La vente était donc parfaite, et le vendeur, en refusant de réitérer, a commis une inexécution ouvrant droit à la pénalité contractuelle.


2️⃣ La rémunération de l’agent immobilier : un droit autonome

Forte de cette perfection de la vente, la cour confirme le droit à rémunération de l’agence :

« L’acte écrit contenant l’engagement des parties, auquel l’article 6 I, alinéa 3, de la loi du 2 janvier 1970 subordonne la rémunération de l’agent immobilier, n’est pas nécessairement un acte authentique. Si la promesse vaut vente dès la réalisation de la condition suspensive, le refus du vendeur de réitérer ne peut priver l’intermédiaire de son droit à rémunération. » (Civ. 1re, 16 mai 2013 ; Civ. 1re, 10 oct. 2018)

La commission n3e dépend donc pas de la signature de l’acte notarié, mais de la conclusion effective de la vente au plan juridique : accord sur la chose et sur le prix, après levée de la condition suspensive. Peu importe que le vendeur l’ait ou non poursuivie. L’agent, en ayant fait conclure la vente, a rempli sa mission ; sa rémunération lui est due.


En pratique

L’arrêt distingue avec netteté les positions des parties : – l’acquéreur obtient la clause pénale, parce que la vente était parfaite ; – l’agent immobilier perçoit sa rémunération, parce que son intermédiaire a produit effet.

L’un et l’autre tirent leur droit du même constat : la perfection de la vente, non sa réitération.

Il s’agit d’une application classique, mais d’une portée pratique constante : le droit à commission ne dépend pas du sort judiciaire de la vente (exécution forcée ou indemnisation), mais du travail accompli et du résultat atteint.

Demeure une précaution essentielle : veiller à la cohérence rédactionnelle du compromis. Si la réitération était érigée en condition suspensive, la clause pénale comme la clause de rémunération pourraient devenir inapplicables. C’est donc dans la conception même de l’acte que se joue, pour l’agent, la sécurité de son droit

* CA Paris, pôle 4 ch. 1, 17 oct. 2025, n° 23/16714.