Partage d’honoraires entre agents : quand la loi Hoguet s’efface devant le contrat
A propos d’un arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 2 octobre 2025 *
Les problématiques liées au partage d’honoraires sont aussi variées que les situations professionnelles : coopération entre agences, délégation de mandat, concours d’intermédiaires ou encore partage post-séparation. À chaque cas, un régime ; à chaque régime, sa logique propre.
Lorsqu’une collaboration prend fin, il est d’usage de régler l’ensemble des points sensibles dans un protocole dédié – transactionnel lorsqu’il tranche des différends, contractuel dans les autres cas. Mais encore faut-il que ce protocole ne prête pas lui-même à interprétation, notamment sur le partage des commissions afférentes aux affaires en cours ou déjà conclues. C’est précisément ce que rappelle la cour d’appel d’Aix-en-Provence dans son arrêt du 2 octobre 2025.
L’affaire
Deux anciens associés d’une même agence immobilière avaient mis fin à leur collaboration par un protocole transactionnel en 2013. Ce texte prévoyait la répartition des affaires selon quatre catégories, dont celle des « affaires en cours dont le produit sera partagé moitié-moitié ». Parmi elles figurait la vente d’une villa haut de gamme, finalement conclue trois ans plus tard, en 2016, par l’agence désormais dirigée par l’une des deux parties. Celle-ci perçoit une commission de 250 000 €. L’ex-associé réclame alors la moitié, soit 125 000 €, en application du protocole. Le tribunal judiciaire de Nice fait droit à la demande ; la cour d’appel d’Aix-en-Provence est saisie.
La solution
Pour se défendre, l’ex-associée invoque la loi Hoguet, indiquant n’avoir reçu aucun mandat de vente du vendeur de la propriété en cause, alors que, selon elle,
« la loi Hoguet impose un mandat pour que le mandataire puisse prétendre à une quelconque rémunération. »
La cour balaie cet argument :
La loi Hoguet est étrangère à la résolution de ce litige, lequel concerne l’application d’un protocole d’accord transactionnel et la répartition des affaires et des commissions entre les ex-associés d’une même agence immobilière. »
Et de préciser :
« Il résulte seulement de la loi Hoguet que les agents immobiliers doivent se conformer au statut professionnel mis en place par ladite loi et que le droit à rémunération du mandataire est conditionné à l’existence d’un mandat. »
Ici, le différend ne concerne pas la relation mandant / mandataire, mais celle entre deux professionnels.
La Cour ajoute :
«les dispositions et la jurisprudence invoquées par [le premier agent], pour s’opposer au partage par moitié des commissions issues de la vente de la propriété…, sont étrangères au présent litige, lequel concerne uniquement les rapports entre le mandat et le mandataire au sujet du paiement des commissions dans le cadre de ventes immobilières »
Et pour marquer le parallèle avec la loi Hoguet, qui impose une intervention effective pour justifier le droit à rémunration, elle expose que:
« le moyen soulevé par [le premier agent], tiré de l’absence d’intervention effective du mandataire, est impuissant à neutraliser les demandes en paiement [du second agent] ».
En conséquence, elle juge que le protocole transactionnel suffit à fonder la créance: le produit de la vente, expressément mentionné comme devant être partagé, doit l’être, sans qu’il soit nécessaire de démontrer un mandat ou une entremise.
L’ex-associée est condamnée à verser 125 000 € à son ancien partenaire, avec intérêts à compter de la mise en demeure.
En pratique
L’enseignement est clair : la loi Hoguet ne régit que les relations entre le professionnel et son mandant. Les litiges entre professionnels, qu’ils soient collaborateurs, partenaires ou anciens associés, relèvent du droit commun des contrats. Dès lors :
- le protocole de séparation doit identifier précisément les affaires concernées ;
- la clé de répartition doit être explicite;
- et surtout, les signataires doivent être les personnes morales ou physiques réellement concernées.
Cette affaire rappelle aussi que l’écrit peut anticiper, mais qu’il n’éteint pas tout. Les opérations immobilières s’étirent parfois sur des années ; la clause de partage réapparaît alors au gré des ventes retardées. Le contentieux ne naît pas d’un oubli, mais d’une interprétation.
Note pour le praticien de l’amiable
Ici, le protocole était transactionnel : il devait clore un différend. Mais parce qu’il portait sur des droits futurs– le partage d’affaires non encore abouties –, il n’a pas empêché la résurgence du conflit.
Pour éviter de rejouer le procès de la rupture, il est utile d’y adjoindre une clause de médiation. Elle offre une étape intermédiaire : avant de saisir le juge, les parties sont invitées à relire ensemble leur propre accord, à en rediscuter la portée et la temporalité.
C’est souvent le moyen le plus efficace de donner à la transaction toute sa valeur : celle d’une paix durable.
