Newsletter du droit de l’agent immobilier – mai 2025
Comme chaque mois, retrouvez une sélection de mes notes et articles publiés durant la période écoulée sur le site internet du cabinet, ou sur mon fil d’actualités LinkedIn.
Jurisprudence sur l’agent immobilier
▶ Cumul des fonctions, cumul des obligations : le sort de l’agent-syndic
Dans un arrêt du 20 mars 2025, la cour d’appel de Douai a sanctionné un agent pour avoir omis d’informer l’acquéreuse de travaux lourds de copropriété… qu’il avait lui-même organisés en tant que syndic. S’il n’avait été « que » syndic ? Sans doute aurait-il échappé à la sanction.
Mais en tant qu’intermédiaire, son silence est une faute.
En dépit du cloisonnement juridique des fonctions d’agent et de syndic, leur cumul n’est pas un bouclier : c’est une loupe grossissante sur les obligations professionnelles. Où l’on voit qu’en Justice, face à un acquéreur démuni, seules comptent les informations concrètement détenues par l’agent.
▶ Agents immobiliers, vérifiez vos mandats !
La pratique du contentieux de l’agence immobilière montre que, souvent, pour s’opposer au paiement de la commission, les mandants traquent la moindre irrégularité ou légèreté au regard des principes de la loi Hoguet. Clause pénale peu apparente, durée du mandat exclusif insuffisamment soulignée, adresse du garant omise, qualité juridique du signataire mal établie… tout est passé au crible.
L’arrêt rendu par la cour d’appel de Metz le 27 mars 2025, le rappelle : un oubli, une irrégularité, et c’est le droit à rémunération qui se retrouve anéanti. Ne nous y trompons pas : bientôt – demain, peut-être même déjà aujourd’hui –, l’intelligence artificielle, maniée par le mandant et son conseil, sera en capacité de systématiser ce travail de vérification pointilleuse, et ne laissera rien passer.
Pour y résister, vous n’avez besoin que de rigueur. D’un mandat béton, donc.
▶ De la responsabilité personnelle du gérant de l’agence en cas d’activation de la garantie financière
La garantie financière protège les mandants. Mais sa mise en œuvre peut engager la responsabilité personnelle de l’agent immobilier, ou celle du gérant de l’agence ».
Lorsque les fonds confiés ne sont pas isolés comme la loi l’exige, le garant intervient. Il indemnise les mandants, puis exerce un recours contre celui dont la carence a rendu son intervention nécessaire. Et si la faute de gestion est détachable, la structure sociale ne fait pas obstacle à l’action.
La cour d’appel de Lyon, dans un arrêt du 3 avril 2025, rappelle ainsi que l’atteinte à la garantie financière n’est jamais neutre : elle heurte un dispositif construit autour d’un impératif d’ordre public, celui de protéger les fonds détenus pour compte d’autrui.
Dans une activité fondée sur la détention de fonds pour autrui, la garantie financière ne borne pas seulement l’action de l’agent : elle en rappelle l’exigence.
▶ Moyen ou résultat ? De la nature de l’obligation de l’agent immobilier en cas d’échec du dispositif fiscal
La responsabilité de l’agent immobilier ne se déduit pas automatiquement de l’échec d’un montage fiscal. Deux décisions récentes (CA Aix-en-Provence 3 avril 2025 et CA Paris 8 avril 2025), viennent le rappeler : l’agent n’est ni garant de la bonne foi du locataire, ni responsable d’un dispositif fiscal qu’il n’a pas piloté. Qu’il s’agisse de dispositifs fiscaux passés, présents ou à venir, sa simple obligation d’agent est par principe une obligation de moyens. A ce titre, il n’a pas à vérifier ce que seul le fisc peut contrôler, ni à se porter caution des intentions des parties.
Encore faut-il pouvoir le démontrer. Mandats précis, échanges tracés, clauses adaptées, coordination avec un CGP : c’est ainsi que l’on sécurise, sans se surengager. Et que l’on préserve, concrètement, la raison d’être de l’obligation de moyens.
▶ Entremise et rédaction d’acte : l’agent immobilier face à ses responsabilités
Dans un arrêt du 7 avril 2025, la cour d’appel de Bordeaux reconnaît la faute d’un agent immobilier qui, en rédigeant un compromis de vente sur un lot en lotissement, a omis de vérifier une clause interdisant la construction envisagée. La promesse devient caduque, les recours s’enchaînent ; et l’agent échappe à la condamnation… mais uniquement parce que le mandant n’a pas établi son préjudice en conformité avec les normes procédurales.
L’arrêt rappelle que lorsqu’un agent rédige un acte, il sort de son rôle d’entremise pour endosser une responsabilité juridique pleine et entière de rédacteur d’acte.
Ce n’est pas le cœur de son métier – tout comme l’entremise n’est pas celui du notaire. Et si chacun peut aller au-delà de son périmètre naturel d’intervention, c’est à condition de le faire en se pliant aux exigences de l’autre métier.
C’est pourquoi certaines opérations appellent une collaboration plus étroite entre professionnels. Certes, cela suppose d’accepter des rythmes, des pratiques et des cultures différentes, ce que chacun comprend bien. Mais avec le bon interlocuteur, la synergie fonctionne. Et dans un marché où les acquéreurs deviennent plus sélectifs, c’est ce professionnalisme partagé qui peut faire la différence.
Alors, pour ou contre le duo agent-notaire au stade de la promesse ? Le débat est ouvert depuis longtemps et pas près de se refermer, mais l’arrêt est une évidente occasion d’y revenir.
▶ Estimation et conflit d’intérêts
Un agent immobilier peut-il estimer un bien qu’il envisage d’acquérir à titre personnel ? La réglementation ne l’interdit pas, mais elle encadre strictement cette possibilité, en exigeant que cette intention soit déclarée dès l’avis de valeur.
Le non-respect de ces préceptes peut conduire à des dérives graves, ainsi qu’en atteste un arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 11 avril 2025.
L’agente n’avait reçu aucun mandat. Elle avait estimé un bien qu’elle projetait d’acquérir, sans rien en dire. La vendeuse, âgée, isolée, fragilisée par un deuil, avait rédigé sous pression un engagement manuscrit à un prix plancher. Si le tribunal avait écarté la vente au motif que le consentement du conjoint, également propriétaire en raison d’un régime de communauté universelle, faisait défaut, la cour confirme ce rejet, mais en modifie les fondements. Elle place l’analyse sous l’angle des règles déontologiques – notamment celles posées par le décret du 28 août 2015 (https://lnkd.in/e4-4jcJv) – et apprécie le comportement de l’agente à l’aune de sa qualité de professionnelle.
Ce n’est pas un simple déplacement de motifs. C’est une clarification. La faute civile peut résulter de la seule violation d’une norme de conduite. Même en l’absence de mandat. Et parfois, là où l’on aurait pu envisager une qualification pénale – en l’occurrence, l’abus de faiblesse au sens de l’article 223-15-2 du code pénal.
Ce glissement du regard juridictionnel sur l’agent immobilier – du contrat vers la déontologie, autrement dit vers la norme de conduite – a des implications concrètes. Il concerne notamment les situations dans lesquelles l’agent intervient à titre personnel, ou par l’intermédiaire d’une structure, dans une opération qu’il a approchée dans le cadre de son activité d’intermédiation. Le cumul des fonctions n’est pas prohibé, mais il appelle une rigueur sans faille.
Si la frontière n’est pas toujours claire, la cour d’appel de Paris fixe la règle : la loyauté, faite notamment de transparence, reste la seule boussole.
▶ Des incidences de la loi Hoguet sur la structuration des réseaux d’agences immobilières
L’ordre public tiré de la loi Hoguet se diffuse bien au-delà de la seule question – rebattue et re-rebattue – de la validité des mandats : il vient irriguer l’ensemble des relations contractuelles encadrant l’activité de l’agent immobilier.
En atteste un arrêt rendu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 2 avril 2025, qui prononce la nullité, pour objet illicite, d’un contrat de licence de marque conclu entre un réseau national d’agences immobilières et un licencié, non titulaire de la carte au jour de la signature.
La prise d’effet du contrat avait bien été différée de six mois, le temps de permettre au futur agent de valider ses acquis de l’expérience pour ensuite prétendre à la carte… mais sans en faire une condition suspensive.
Logique, dira le juriste rompu au droit commun des contrats, sidéré de constater qu’il avait fallu aller au contentieux pour que les exigences de la loi Hoguet soient réellement prises en considération.
Est-ce bien sérieux ?
▶ Formation des agents immobiliers : réflexions après l’arrêt du Conseil d’État
Aux termes de son arrêt du 25 février 2025, le Conseil d’État a tranché : le gouvernement a injonction de publier, sous six mois, le décret fixant les conditions de compétence professionnelle initiale des collaborateurs d’agents immobiliers, tel que prévu par la loi ALUR de… 2014. Cette décision met fin à une carence du pouvoir réglementaire de plus d’une décennie.
Pour l’observateur du contentieux, cette décision est l’occasion d’une réflexion plus globale sur la formation, non pas des seuls collaborateurs, mais des agents immobiliers dans leur ensemble. La formation continue des agents, obligatoire, est-elle réellement adaptée aux évolutions rapides du secteur sous l’influence de la digitalisation, que ce soit avec l’émergence des plateformes numériques ou, plus encore, avec la prolifération des outils d’IA, qui remodèlent les pratiques et la relation avec les clients ?
Professionnels de l’immobilier, formateurs, juristes : quelles doivent être nos exigences en matière de formation ? C’est évidemment une question d’image pour le public, dont le service demeure la seule raison d’être de la profession réglementée d’agent immobilier.
Variétés
▶ Humeur : l’image de l’agent immobilier
Au détour de notre veille jurisprudentielle, on tombe sur un arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 9 avril 2025 dans une affaire d’indivision successorale (https://lnkd.in/es9iK3WU). L’estimation de l’agent immobilier est écartée. Et l’on ouvre les yeux bien grands sur un des motifs : « 𝙪𝙣𝙚 𝙩𝙚𝙣𝙙𝙖𝙣𝙘𝙚 𝙘𝙝𝙚𝙯 𝙘𝙚𝙧𝙩𝙖𝙞𝙣𝙨 𝙖𝙜𝙚𝙣𝙩𝙨 𝙞𝙢𝙢𝙤𝙗𝙞𝙡𝙞𝙚𝙧𝙨 𝙙𝙚 𝙨𝙪𝙧𝙚́𝙫𝙖𝙡𝙪𝙚𝙧 𝙡𝙚𝙨 𝙗𝙞𝙚𝙣𝙨 𝙞𝙢𝙢𝙤𝙗𝙞𝙡𝙞𝙚𝙧𝙨 𝙙𝙤𝙣𝙩 𝙡𝙖 𝙫𝙖𝙡𝙚𝙪𝙧 𝙫𝙚́𝙣𝙖𝙡𝙚 𝙚𝙨𝙩 𝙞𝙢𝙥𝙤𝙧𝙩𝙖𝙣𝙩𝙚 𝙙𝙖𝙣𝙨 𝙡𝙚 𝙗𝙪𝙩 𝙙𝙚 𝙨𝙚 𝙫𝙤𝙞𝙧 𝙘𝙤𝙣𝙛𝙞𝙚𝙧 𝙡𝙖 𝙣𝙚́𝙜𝙤𝙘𝙞𝙖𝙩𝙞𝙤𝙣 𝙙𝙚 𝙡𝙚𝙪𝙧 𝙫𝙚𝙣𝙩𝙚 ».
Ce n’est pas un motif de droit, ni un constat d’espèce. C’est une opinion. Et une opinion qui marque : celle que l’estimation s’inscrirait dans une stratégie commerciale. Une image d’Epinal, ou un propos de café du commerce, qui ne devrait plus avoir cours… même si l’on ne peut nier qu’il existe bel et bien de mauvaises pratiques. Ces lieux communs ont la vie dure, et façonnent en creux une défiance, qui finit par peser devant les juridictions. C’est pourquoi, en contentieux, on conseillera plutôt le recous à un expert immobilier indépendant. Non par défiance envers l’agent, mais parce que l’évaluation est un métier à part entière, une expertise avec ses propres standards, et qu’au moins pour se plier aux réflexes des magistrats, sa reconnaissance en justice reste mieux assurée.
Au-delà, pour l’agent, il est évident que faire son métier, ce n’est pas flatter par des estimations trompeuses. C’est produire un avis solidement motivé, dans le cadre d’un mandat qui engage. Mais dans un monde où la défiance précède parfois l’analyse, cela ne suffit plus. Pour restaurer l’image de l’agent immobilier, sa crédibilité, c’est à chacun de faire sa part. Au-delà du savoir-faire, de travailler son « faire savoir ».
▶ Conseiller un produit atypique : l’exigence de rigueur du CGP à l’épreuve du contentieux Aristophil
Le conseil en gestion de patrimoine ne peut être omniscient, encore moins tout prévoir. Mais il doit connaître son produit, savoir ce qu’il propose, à qui, et pourquoi. Et du point de vue du contentieux, il doit être en capacité de le démontrer.
Désormais bien ancrés, ces principes sont particulièrement mis à l’épreuve par le contentieux Aristophil. En atteste un énième arrêt statuant sur la responsabilité des CGP diffuseurs du produit, rendu en l’espèce par l’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux, et mis en perspectives avec les décisions d’autres juridictions.
Dans cette nouvelle affaire, l’intermédiaire avait recommandé l’opération sans alerte, sans analyse, sans traçabilité. Sa faute est reconnue – même s’il échappe à la sanction faute de préjudice prouvé.
Cet arrêt le montre, comme tant d’autres ces derniers mois : ce qui est exigé n’est pas l’infaillibilité, mais mais le professionnalisme : structuré, justifié, assumé. Ni panique, ni relâchement, donc. Juste une ligne claire : la rigueur comme boussole, toujours.
▶ 𝗔𝗻𝗻𝗼𝗻𝗰𝗲 𝗱𝗲 𝗹𝗮 𝗗𝗔𝗖𝗦 𝘀𝘂𝗿 𝗹𝗮 𝗿𝗲𝗳𝗼𝗻𝘁𝗲 𝗱𝘂 𝗱𝗶𝘀𝗽𝗼𝘀𝗶𝘁𝗶𝗳 𝘀𝘂𝗿 𝗹𝗲 𝗽𝗮𝗿𝘁𝗮𝗴𝗲 𝗷𝘂𝗱𝗶𝗰𝗶𝗮𝗶𝗿𝗲
Breaking News !
Au détour d’une page de sa dernière lettre aux professions du droit et de la justice arrivée ce jour dans nos boîtes aux lettes, la Direction des Affaires Civiles et du Sceau nous informe de la mise la mise en place prochaine d’un groupe de travail sur le partage judiciaire. Les avocats, praticiens du droit patrimonial de la famille, ne peuvent que s’en féliciter, tant il est vrai qu’en la matière, les affres que connaît ordinairement notre Justice civile se concentrent à haute dose.
Car, ici comme ailleurs, la volonté de simplification qui a présidé à la réforme des successions issue de la loi du 23 juin 2006, et de son décret du 23 décembre 2006, n’a pas été couronnée de succès. L’expérience fait fréquemment apparaître :
– Des juges pas toujours formés à cette matière technique, peu disponibles et parfois franchement perdus,
– Des notaires qui gèrent les commises judiciaires comme des missions privées, avec cependant un peu moins de zèle – et, notamment, qui refusent d’officier tant qu’ils ne sont pas provisionnés, ce qui en pratique en fait peser la charge complète sur la partie qui a intérêt au partage,
– Un cheminement procédural clair sur le papier, mais qui achoppe à la moindre particularité d’une affaire,
– En conséquence de tout cela, des délais qui explosent : pour établir un état liquidatif, il n’est pas rare que la décennie soit dépassée, là où les textes prévoient une durée de principe d’une année,
– Et des copartageants qui, au final se retrouvent confortés dans leurs antagonismes.
Nul doute que, plus que dans toute autre matière, la médation devra trouver dans les règles à venir une place de choix. Car, les partages sont souvent le lieu de conflits enkystés, devant lesquels le juge – lorsqu’on parvient enfin devant lui -, ne peut par nature trancher que des litiges limités à l’objet de sa saisine ; ce qui, la plupart du temps ne satisfait personne, sauf à laisser un vaincu qui voudra prendre sa revanche à la première occasion. A la différence de la médiation, qui a pour objet de traiter la relation, et peut être un puissant levier de pacification des familles.
En cette époque où chacun reçoit injonction de choisir un camp, la paix sociale, gage d’une saine démocratie, en a tellement besoin !
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