Moyen ou résultat ? De la nature de l’obligation de l’agent immobilier en cas d’échec du dispositif fiscal

Les dispositifs de défiscalisation locative ont structuré des pans entiers du marché immobilier au cours des quinze dernières années. Scellier, puis Pinel, aujourd’hui Denormandie ou Loc’Avantages : ces régimes ont en commun de reposer sur une condition simple en apparence — louer un bien dans des conditions précises — mais redoutablement contrôlée par l’administration.

Or, lorsque le montage fiscal échoue — par redressement ou par non-conformité —, le réflexe est connu : on cherche un responsable. Et l’agent, professionnel visible et impliqué dans la rédaction du bail, devient la cible immédiate. Il incarne alors ce que l’on attend d’un bouc émissaire : une figure apparemment logique, mais juridiquement mal désignée. Car son rôle, sauf stipulation contraire, se borne à une obligation de moyens.

Le rapprochement de deux décisions, respectivement rendues les 3 et 8 avril 2025 par les cours d’appel d’Aix-en-Provence* et de Paris** à propos d’opérations sous Scellier et Pinel, éclairent avec force les responsabilités que l’on peut — ou non — faire peser sur l’agent immobilier. Elles ne valent pas simple retour sur le passé : elles balisent aussi les exigences à venir, pour tous les dispositifs à finalité fiscale.

L’affaire

Dans l’affaire jugée à Paris, un couple avait acquis un bien en VEFA en 2011, avec l’intention de bénéficier du dispositif Scellier. Le mandat confié à l’agent précisait que la location devait répondre aux conditions fiscales requises, notamment l’usage du bien à titre de résidence principale. Un bail avait été rédigé en ce sens fin 2015. Mais quelques années plus tard, un redressement fiscal était notifié : l’administration estimait que le locataire n’occupait pas effectivement les lieux comme résidence principale. Les mandants engageaient alors la responsabilité de [l’agent], à hauteur de près de 39 000 euros.

À Aix-en-Provence, la bailleresse reprochait à son mandataire une gestion défaillante dans le cadre d’un investissement locatif Pinel : sélection défaillante du locataire, absence de garanties, rédaction inadaptée des baux. Elle faisait valoir l’échec du projet fiscal initialement envisagé et réclamait plus de 49 000 euros de dommages et intérêts.

Dans les deux cas, l’agent devenait la figure centrale d’un contentieux bâti sur l’échec du montage.

La solution

Dans les deux affaires, les cours d’appel confirment les jugements de première instance et rejettent les demandes indemnitaires. Mais elles ne se contentent pas de constater l’absence de faute : elles procèdent à une analyse fine des missions exactes du mandataire immobilier, à la lumière du mandat et du droit commun.

À Paris, la cour insiste sur l’étendue strictement délimitée des pouvoirs conférés à [l’agent] par le contrat :

  • « Le contrat énumère de façon limitative les pouvoirs dont dispose le mandataire au titre de l’article 3 des conditions du mandat et 3.1 sur la mission du mandataire.
  • Ne figure aucunement dans la liste des pouvoirs concédés limitativement au mandataire le devoir de vérifier dans chaque contrat de location la véracité des mentions signées par les locataires voire de rechercher leur situation réelle au moment de la signature du bail ou durant l’exécution du bail.
  • Il est rappelé que le mandataire a une obligation de moyen et non de résultat. »

Et la cour prolonge cette analyse en soulignant qu’il n’appartient pas à [l’agent] de procéder à des vérifications matérielles a posteriori que seule l’administration fiscale est habilitée à réaliser :

  • « l’objectif de louer le bien en cause en tant que résidence principale afin que [les mandants] puissent bénéficier du dispositif de la loi Scellier constitue une obligation qui a été exécutée par [l’agent], celle-ci n’ayant pas à vérifier la situation personnelle du locataire pendant toute la durée du bail et ne dispose à ce titre pas des moyens et des droits de l’administration fiscale, pour pouvoir vérifier a posteriori la véracité des mentions portées par un locataire sur un contrat de bail. »

La démonstration est rigoureuse : dès lors que le bail stipulait une résidence principale et que le mandat ne prévoyait aucun contrôle particulier, la responsabilité de l’agent n’est pas engagée.

À Aix-en-Provence, la cour recentre également le débat sur la portée réelle du mandat de gestion. Elle rappelle d’abord un principe fondamental :

  • « [L’agent] n’est tenu que d’une simple obligation de moyens et ne saurait être garant du respect des obligations du locataire et du paiement de ses loyers.
  • Le contrat de bail est un contrat à exécution successive et comporte de ce fait un aléa dans le temps, aléa que le mandataire ne peut garantir. »

La cour constate que le locataire disposait d’un contrat de travail à durée indéterminée, de trois bulletins de salaire et d’un avis d’imposition, avec un revenu de plus du triple du loyer. Et que le mandat ne prévoyait nullement l’exigence d’un cautionnement :

  • « Le mandat de gestion immobilière ne prévoit nullement que le mandataire doit solliciter un cautionnaire. »

Quant à la prétendue mauvaise rédaction du bail, la cour l’écarte, faute de preuve :

  • « [La bailleresse] ne justifie aucunement d’un quelconque refus de la part de l’administration fiscale, ni d’avoir effectué les démarches nécessaires afin d’obtenir la réduction fiscale attendue. »

Et surtout :

  • « Le mandat confié à [l’agent] est un mandat de simple entremetteur dans la location du bien, cette dernière n’étant pas inscrite comme conseiller en investissement financier. »

Le raisonnement est limpide : l’agent ne peut être rendu responsable de la défaillance d’un dispositif fiscal qu’il n’était ni chargé d’organiser, ni habilité à sécuriser.

En pratique

Ces décisions apportent un double enseignement.

D’abord, elles rappellent que l’agent immobilier est tenu d’une obligation de moyens, et non de résultat. Il n’a ni à garantir l’exactitude des déclarations d’un locataire, ni à anticiper son comportement futur. Il n’est pas responsable de l’échec d’un montage fiscal qu’il n’a pas conçu, dès lors que les actes rédigés sont conformes aux stipulations du mandat.

Ensuite, elles soulignent que cette obligation de moyens n’est protectrice que si elle peut être prouvée. Autrement dit, ce n’est pas l’absence de faute qui protège, c’est la capacité à démontrer le sérieux de l’intervention : traçabilité des échanges, conservation des pièces justificatives, cohérence du bail avec le dispositif invoqué.

Cela vaut pour les dispositifs clos comme le Scellier ou le Pinel, mais surtout pour ceux qui existent aujourd’hui (Denormandie, Loc’Avantages, statut du meublé…) ou ceux à venir. Dans tous ces cas, l’agent peut être sollicité dans à l’occasion d’une opération qui dépasse son rôle premier. Il lui appartient donc d’en baliser strictement les contours.

Trois précautions peuvent faire la différence :

  • inintégrer dans le mandat une clause excluant la responsabilité de l’agent en cas de déclarations inexactes du locataire ;
  • veiller à documenter les pièces du dossier et la relation, et à conserver les éléments de solvabilité et de qualification du bail, ainsi que tous échanges ;
  • rappeler, chaque fois que nécessaire, que l’agent n’est ni conseiller fiscal, ni garant du comportement du locataire.

Et pour les dispositifs les plus sensibles, il peut être utile de recommander au bailleur de s’entourer d’un CGP, professionnel du conseil patrimonial. Un agent avisé sait aussi faire intervenir, en temps utile, les compétences complémentaires.

Car ce n’est pas l’obligation de moyens qui protège : c’est l’aptitude à en faire la preuve.

CA Aix-en-Provence, ch. 1 7, 3 avr. 2025, n° 24/06478
** CA Paris, pôle 4 ch. 4, 8 avr. 2025, n° 22/17166