L’exclusivité, ou la fidélité contractuelle élevée au rang de principe

 

Il y a, dans l’exclusivité, quelque chose de plus qu’un simple engagement commercial. C’est une forme de confiance réciproque — un pacte de loyauté — entre le mandant et son agent. Celui qui l’accorde renonce à multiplier les intermédiaires ; celui qui la reçoit s’engage à mobiliser pleinement ses moyens pour vendre.

Mais que se passe-t-il lorsque ce pacte est rompu ? Et surtout, que vaut la clause pénale qui le sanctionne, lorsque la vente n’a jamais eu lieu ?

C’est à ces questions qu’a répondu la cour d’appel de Montpellier dans un arrêt du 30 octobre 2025, en redonnant à l’exclusivité toute sa densité juridique : elle n’est pas seulement un mode d’organisation de la vente, mais une obligation de fidélité dont la violation appelle une sanction — même sans préjudice mesurable.


L’affaire

Deux venderesses confient à une agence immobilière un mandat exclusif de vente pour une maison située en Aveyron, au prix de 442 000 €, avec des honoraires de 32 000 €. Le mandat, irrévocable pendant trois mois, stipule une clause pénale égale à la rémunération prévue, “en cas d’infraction aux obligations d’exclusivité”.

Quelques semaines plus tard, l’une des mandantes sollicite la mise en place d’un mandat de co-exclusivité avec une autre agence. La seconde confirme à tort que “c’est en ordre”, alors que la première n’a jamais donné son accord. Le bien est mis en ligne par la seconde agence, tandis qu’une offre d’achat, présentée par la première, n’aboutit pas.

Estimant la clause pénale due, la première agence met en demeure les mandantes de lui régler la somme de 20 000 €. Celles-ci refusent, puis résilient le mandat. Le tribunal judiciaire de Rodez les décharge : selon lui, la clause pénale ne peut s’appliquer qu’en cas de vente effectivement conclue. La société Sélection Habitat interjette appel.


La solution

La cour d’appel infirme le jugement et condamne les venderesses à payer l’intégralité de la clause pénale.

Elle replace d’abord la discussion dans le cadre normatif de la loi Hoguet, rappelant que la distinction entre rémunération et clause pénale est expressément posée par le texte :

« Le premier juge a commis une erreur de droit en jugeant que la clause pénale prévue au contrat de mandat de vente ne peut s’appliquer qu’à la seule condition que l’opération visée audit mandat ait été effectivement conclue.

En effet, il convient de distinguer :

– la question du paiement des honoraires (rémunération du mandataire), qui dépend de la réalisation d’une vente (alinéa 8 de l’article 6 I de la loi Hoguet),

– de la question des dommages-intérêts qui résulte de la clause pénale figurant dans le contrat de mandat (alinéa 9 du même article). »

En d’autres termes : la clause pénale vit d’une logique propre, distincte de celle de la commission. Elle n’est pas subordonnée à la réalisation de la vente, mais sanctionne le manquement au devoir de fidélité que suppose l’exclusivité.

Or, en confiant la commercialisation du bien à une autre agence avant la résiliation effective, les mandantes ont violé cette obligation :

« Le bien ayant été commercialisé par un autre intermédiaire durant la période d’exclusivité, les mandantes ont failli à leurs obligations contractuelles. »

La clause, claire, en majuscules et en gras, remplissait les conditions formelles de l’article 78 du décret du 20 juillet 1972. La cour la déclare donc pleinement applicable et refuse d’en réduire le montant :

« La somme de 20 000 € représente 5,33 % du prix du bien et ne présente pas de caractère excessif. »

Ainsi, malgré l’absence de vente, et sans preuve d’un préjudice économique concret, la clause est appliquée intégralement. La cour exerce ici un véritable pouvoir de sanction, qui dépasse la logique indemnitaire pour faire prévaloir la cohérence du contrat sur l’équité subjective.


En pratique

Cette décision rappelle avec force que l’exclusivité n’est pas une simple option marketing : c’est une obligation de loyauté, sanctionnée en tant que telle. Le juge, loin de réduire la clause pénale — comme c’est souvent le cas —, choisit d’en préserver la fonction normative.

Pour l’agent immobilier, l’arrêt est une double confirmation :

  • le formalisme Hoguetn’est pas un carcan mais une protection, à condition d’être rigoureusement respecté ;
  • –la preuve de la violation (captures d’écran, échanges de mails, date de publication) devient un outil de défense essentiel.

Pour le mandant, la vigilance est absolue : résilier ne suffit pas à se libérer de l’exclusivité ; toute démarche parallèle pendant le préavis peut être fautive.

Quant à la seconde agence, sa position n’est pas neutre : l’arrêt souligne le risque d’une imprudence, voire d’un engagement implicite, lorsqu’on confirme un mandat “en ordre” sans vérification.

En somme, la cour rappelle que l’exclusivité, comme la fidélité, ne se partage pas

 

* CA Montpellier, 4e ch. civ., 30 octobre 2025, n° 24/02645