L’agent immobilier, pivot de la coordination entre professionnels

Dans une transaction immobilière, il est sain – et même recommandé – de s’entourer de professionnels. L’agent immobilier structure l’opération, le notaire en garantit la validité, l’avocat peut, le cas échéant, sécuriser les choix ou représenter les parties. Mais l’intervention de plusieurs compétences ne fait pas à elle seule une organisation. L’efficacité juridique et pratique suppose une coordination. À défaut, les responsabilités se brouillent, l’information se perd, et la transaction se grippe.

L’arrêt rendu par la cour d’appel de Rennes le 29 avril 2025, sur renvoi après cassation, en donne une illustration particulièrement éclairante. Il met en lumière les fautes respectives de l’agence immobilière et du notaire, tout en pointant les effets délétères d’une absence de coordination dans la conduite d’une vente.

L’affaire

En avril 2011, un couple signe un compromis de vente portant sur une maison, par l’intermédiaire d’une agence immobilière. Un acompte est versé, un déménagement programmé, la signature définitive est prévue pour la fin juillet.

Le 20 juillet seulement, le notaire transmet son premier projet d’acte. Les acquéreurs y découvrent une servitude non aedificandi grevant le bien, ainsi que l’existence de travaux récents (piscine, baies vitrées, ravalement), alors même que le compromis stipulait qu’aucune construction n’avait été réalisée depuis plus de dix ans.

La vente échoue. Les acquéreurs obtiennent en première instance la condamnation des vendeurs, mais interjettent appel pour faire reconnaître la responsabilité de l’agence et du notaire. Par un arrêt du 27 juin 2019, la cour d’appel de Rennes les déboute. Cette décision est cassée partiellement par la Cour de cassation (3e civ., 7 déc. 2022, n° 21-20.297), qui renvoie l’affaire devant une autre formation de la même cour. L’arrêt du 29 avril 2025 tranche à nouveau le litige.

La solution

La cour d’appel commence par rappeler les principes gouvernant la responsabilité de l’intermédiaire professionnel :

  • « L’intermédiaire professionnel, négociateur et rédacteur d’un acte, est tenu de s’assurer que se trouvent réunies toutes les conditions nécessaires à l’efficacité juridique de la convention. Notamment, l’agent immobilier commet une faute en ne vérifiant pas l’obtention des certificats d’urbanisme ou les servitudes inhérentes aux immeubles qu’il était chargé de vendre. Il est débiteur d’une obligation générale d’information et de loyauté. »

L’agence est donc jugée fautive sur deux points :
– elle n’a pas intégré dans le compromis la servitude révélée dans le certificat d’urbanisme, pourtant en sa possession depuis plus d’un mois ;
– elle n’a procédé à aucune vérification ni alerte concernant les travaux, pourtant manifestes, qui contredisaient la clause-type insérée dans le compromis.

S’agissant du notaire, la cour rappelle que :

  • « Le notaire est tenu, en tant qu’officier public ministériel, d’éclairer les parties et de s’assurer de la validité et de l’efficacité des actes qu’il instrumente, le cas échéant en procédant aux vérifications nécessaires. Il n’est pas dispensé de son devoir de conseil du fait des compétences personnelles de son client. »

Il lui est reproché d’avoir transmis le projet d’acte trop tardivement – le 20 juillet pour une signature prévue en fin de mois – alors qu’il disposait depuis la mi-juin des éléments essentiels. Cette « légèreté fautive » a privé les acquéreurs d’un temps suffisant pour réagir.

En revanche, la cour l’exonère de toute responsabilité quant à l’échec des renégociations :

  • « La multiplication des intervenants (notaires, avocats) […] a conduit à une véritable cacophonie dans laquelle [le notaire] avait perdu toute maîtrise des négociations. »

Autrement dit, l’absence de coordination a rendu tout ajustement impossible, malgré les compétences individuelles des professionnels impliqués.

La responsabilité est répartie à hauteur de 80 % pour l’agence immobilière, 20 % pour le notaire. Aucun recours en garantie n’est admis entre eux.

En pratique

Chaque professionnel doit intervenir dans son champ de compétence. Mais leur efficacité ne se mesure pas seulement à la qualité de leur prestation isolée : elle dépend de leur capacité à s’inscrire dans une démarche structurée et coordonnée.

L’agent immobilier, souvent premier intervenant, tient une place singulière dans ce dispositif. C’est à lui que le bien est confié. C’est lui qui tient la plume du compromis. C’est lui, enfin, qui connaît l’ensemble des interlocuteurs dès l’origine. Il lui revient donc naturellement de garantir une certaine cohérence d’ensemble.

Cela suppose, très concrètement :
– la vérification précoce des documents structurants (titre, certificat d’urbanisme, diagnostics),
– l’ajustement des clauses du compromis à la réalité du dossier,
– l’organisation d’un circuit d’information clair avec les autres intervenants,
– un calendrier concerté pour la circulation des projets et des pièces.

S’entourer de professionnels compétents est une bonne chose. Leur permettre de travailler ensemble, avec méthode, en est la condition d’efficacité.

* CA Rennes, 1re ch., 29 avr. 2025, n° 24/00066