Inapplicabilité de la loi Hoguet et mandat apparent dans la vente immobilière
À propos d’un arrêt de la Cour de cassation du 5 décembre 2024 et d’un arrêt de la Cour d’Appel de Nîmes du 2 octobre 2025 *
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Le formalisme de la loi Hoguet protège la profession immobilière : il impose le mandat écrit, encadre la rémunération et verrouille la représentation. Mais cette rigueur ne vaut que pour ceux qui exercent habituellement une activité d’entremise. En dehors de ce champ, le droit commun du mandat retrouve tout son empire.
C’est ce que rappellent, à treize ans d’écart des faits, la Cour de cassation et la cour d’appel de Nîmes : le formalisme s’efface lorsque l’activité ne relève pas du périmètre Hoguet, et l’apparence redevient source d’engagement.
L’affaire
L’histoire commence en 2011, à une époque où YouTube faisait encore figure d’outil pionnier pour présenter un bien immobilier. Une société américaine, intéressée par un immeuble du sud de la France, découvre une vidéo publiée par un « consultant immobilier indépendant ». Ce dernier diffuse l’annonce, relaie une offre d’achat et échange directement avec l’acquéreur, en se présentant comme le représentant des vendeurs.
Les parties signent une promesse synallagmatique de vente le 30 janvier 2011, prévoyant le versement d’un dépôt de garantie de 185 182 euros. L’acte authentique n’est jamais réitéré. L’acquéreur réclame alors la restitution du dépôt, estimant que la vente est devenue caduque en raison de la non-réalisation des engagements pris par le « mandataire » des vendeurs, notamment l’achèvement des travaux avant la signature.
Les vendeurs s’y opposent : ils affirment n’avoir donné aucun mandat, et soulignent que le « consultant » n’avait ni carte professionnelle, ni mandat écrit, en violation de la loi du 2 janvier 1970. Le tribunal de Perpignan (2017), puis la cour d’appel de Montpellier (2022), leur donnent raison.
L’acquéreur se pourvoit en cassation, invoquant l’existence d’un mandat apparent : les courriels échangés, parfois adressés en copie aux vendeurs restés silencieux, auraient pu lui faire croire légitimement que le « consultant » agissait pour leur compte.
La solution
Par un arrêt du 5 décembre 2024, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel :
« Le mandant peut être engagé sur le fondement d’un mandat apparent, même en l’absence de faute de sa part, si la croyance du tiers à l’étendue des pouvoirs du mandataire est légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient le tiers à ne pas vérifier les limites exactes de ces pouvoirs. » (Cass. 3ᵉ civ., 5 déc. 2024, n° 23-10.575)
Elle reproche à la cour d’appel d’avoir écarté cette possibilité sans vérifier au préalable si la loi Hoguet trouvait à s’appliquer.
Sur renvoi, la cour d’appel de Nîmes (2 oct. 2025)reprend le dossier à la racine.
Elle constate qu’aucun élément ne prouvait que le « consultant » exerçait une activité d’intermédiation à titre habituel : il n’avait proposé à la vente que le bien litigieux. Dès lors, le formalisme Hoguet ne s’appliquait pas.
La cour réintroduit donc le droit commun :
« Même s’ils ne lui avaient pas donné mandat, les vendeurs pouvaient néanmoins être engagés sur le fondement d’un mandat apparent si l’acquéreur avait pu légitimement croire qu’il les représentait. »
Elle relève que le consultant s’était présenté comme le représentant des propriétaires, que certains courriels avaient été adressés en copie au vendeur, resté muet, et que les échanges s’étaient entièrement déroulés par son intermédiaire. Cette tolérance suffit : la croyance de l’acquéreur était légitime.
Les vendeurs sont dès lors tenus des engagements de leur mandataire apparent. La promesse est réputée caduque, et la restitution du dépôt de garantie ordonnée.
En pratique
Ces deux arrêts, rendus à treize ans d’écart des faits, témoignent d’une évolution dans les formes, mais non dans le fond. En 2011, l’affaire se jouait sur YouTube ; aujourd’hui, elle se serait sans doute déroulée sur Instagram, TikTok ou WhatsApp, à travers des vidéos de visite, des publications de “consultants indépendants” ou des messages privés.
La frontière demeure la même :
- si l’activité d’intermédiation est habituelle, la loi Hoguet impose son formalisme d’ordre public ;
- si elle est ponctuelle, le droit commun reprend la main, et la croyance peut suffire à engager.
Pour les professionnels, la vigilance reste la meilleure protection :
- l’agent immobilier, soumis à la loi Hoguet, sécurise son rôle par l’écrit ;
- le vendeur, s’il tolère qu’un tiers parle en son nom, risque d’en assumer les paroles ;
- l’acquéreur, enfin, n’est jamais désarmé : sa croyance légitime demeure protégée.
* Cass. 3ᵉ civ., 5 décembre 2024, n° 23-10.575 – CA Nîmes, 1ʳᵉ ch., 2 octobre 2025, n° 24/04078