Guide pratique de la responsabilité du CGP à partir d’un arrêt de la Cour de cassation.

L’actualité jurisprudentielle de la responsabilité du conseil en gestion de patrimoine est surtout marquée par la question de la prescription, conséquence d’une activité gouvernée par le temps long (v. notre article).

Au-delà, le contentieux de la responsabilité civile du conseiller en gestion de patrimone fait revenir, de manière récurrente, les mêmes questions de fond : qu’est-ce qu’une faute de conseil ? quel préjudice est indemnisable ? à quelles conditions l’assureur RC doit-il couvrir ? IUn arrêt rendu par la Cour de cassation le 30 avril 2025 est l’occasion de faire le point, non seulement sur une affaire particulère, mais sur les lignes de force de la jurisprudence actuelle en matière de responsabilité du CGP.

L’affaire

L’investisseur avait souscrit à deux opérations de défiscalisation en Outre-mer, portées par deux structures différentes, mais présentées par le même conseiller. L’une, montée et distribuée par la société Hedios, l’autre, conçue par un tiers (DTD) mais également proposée par Hedios. La promesse était classique : une réduction d’impôt sous le régime du Girardin industriel (article 199 undecies B CGI), contre un apport à fonds perdu.

À la suite d’un redressement fiscal, l’investisseur a assigné le conseiller, lui reprochant de ne pas avoir proposé un produit viable, de ne pas l’avoir suffisamment informé, et d’avoir failli dans sa mission. L’affaire a donné lieu à une procédure complexe mêlant conseil, montage, fiscalité, assurance… et a permis à la Cour de cassation de trancher plusieurs questions de principe.

La solution

La décision rendue le 30 avril 2025 permet de rappeler trois règles structurantes pour toute analyse de responsabilité d’un CGP :

1. Le préjudice fiscal n’est indemnisable que s’il est évitable.

  • « Le paiement de l’impôt mis à la charge d’un contribuable à la suite d’une rectification fiscale […] ne constitue pas un dommage indemnisable, sauf s’il est établi que sans la faute des personnes en charge de cette opération […], ce contribuable n’aurait pas été exposé au paiement. »

Il ne suffit donc pas qu’un redressement ait eu lieu : encore faut-il démontrer que le redressement est imputable à une faute du CGP, et qu’un produit alternatif, fiscalement viable, aurait pu être souscrit à la place.

2. L’information doit inclure ce qui dissuade.

  • « Le conseiller en gestion de patrimoine est tenu […] d’une obligation d’information sur les caractéristiques essentielles, y compris les moins favorables, de l’opération proposée. »

Ce devoir ne se limite pas à transmettre les plaquettes du monteur ou à faire signer un questionnaire. Il implique d’informer loyalement l’investisseur sur les risques, les aléas et les éléments qui pourraient, raisonnablement, l’amener à renoncer. Présenter un produit, c’est aussi en dire ce qui pourrait le faire rejeter.

3. L’assurance couvre ce que le contrat prévoit explicitement — et ce que l’assureur ne peut ignorer. La cour d’appel avait estimé que le montage d’opérations de défiscalisation n’entrait pas dans les garanties du contrat d’assurance souscrit par le CGP. La Cour de cassation censure cette lecture, en rappelant que :

  • « la clause dressant la liste des activités assurées visait l’activité d’ingénierie financière, que celle stipulant les primes d’assurance dues et celle précisant la franchise applicable à la responsabilité civile professionnelle mentionnaient les opérations industrielles et immobilières de défiscalisation dans les Dom-Tom, de sorte que l’activité d’ingénierie financière assurée comprenait l’activité de montage d’opération de défiscalisation ».

En statuant autrement, la cour d’appel avait « dénaturé les termes clairs et précis du contrat d’assurance ». Ce rappel est décisif : la garantie d’assurance s’apprécie à la lumière de l’ensemble des clauses pertinentes, et non d’une seule mention isolée. Un CGP est en droit d’attendre que son activité réelle — ici le montage d’opérations de défiscalisation — soit réellement couverte.

  • En pratique

La mise en responsabilité d’un CGP repose sur un triptyque : la faute, le préjudice, l’assurance. Chacun de ces éléments soulève des difficultés pratiques spécifiques, mais c’est surtout leur articulation qui fait la force (ou la faiblesse) de la défense :

La faute ne se réduit pas à l’absence d’explication : c’est une défaillance dans le choix du produit, dans la qualification du client, dans l’information remise ou dans l’analyse préalable. Elle est toujours évaluée in concreto, au regard du profil de l’investisseur et du niveau de diligence du professionnel.

Le préjudice ne se présume pas : l’impôt redressé n’est pas indemnisable par nature, sauf preuve que le conseil a empêché l’accès à un produit alternatif valide. C’est là que le lien de causalité devient central.

L’assurance ne joue que si les garanties souscrites couvrent bien l’activité en cause. L’analyse des clauses est alors décisive : activités garanties, exclusions, rattachement aux statuts CIF/CGP…

Vade mecum du CGP en contentieux

  1. Identifier précisément la nature de son intervention : conseil ? distribution ? montage ?

  2. Conserver les preuves concrètes d’une information claire, complète et personnalisée.

  3. Anticiper les points de friction assurantiels en auditant son contrat en amont.

  4. Documenter l’adéquation entre le profil du client et le produit recommandé.

  5. Veiller à l’alignement entre l’offre présentée et les engagements réglementaires (CGI, AMF, Hoguet…).

Un CGP ne se défend pas après coup : il se protège en amont, par la clarté de ses conseils, la traçabilité de ses diligences, et la précision de ses engagements. Ce vade mecum est une boussole pour prévenir, bien plus qu’un manuel pour réparer.

 

* Cour de cassation, Chambre commerciale, 30 avril 2025, n° 23-23.253, publié au bulletin