Formation des agents immobiliers : réflexions après l’arrêt du Conseil d’État

L’observation du contentieux de l’agent immobilier, dont ce blog est l’expression, met en exergue un phénomène récurrent : malgré un cadre légal ancien, certaines carences, voire de véritables mauvaises pratiques, continuent d’émailler l’exercice de cette profession pourtant réglementée, et viennent en ternir l’image.
Heureusement, lorsque les dérives sont manifestes, elles font l’objet d’une sanction judiciaire. Mais cette voie contentieuse n’est qu’un second rideau : dans une profession régulée, c’est avant tout la formation et le contrôle interne qui devraient prévenir ces dysfonctionnements.
C’est précisément à cela que devait répondre la création de la commission de contrôle des activités immobilières prévue par la loi ÉLAN, laissant une profession réglementée sans organe disciplinaire autonome, malgré l’affirmation d’un besoin bien réel.

Cela étant, si la majorité des relations entre agents immobiliers et leurs clients se déroule de manière satisfaisante — et il serait injuste de l’ignorer —, les cas pathologiques révèlent, eux, une double nécessité : celle d’une formation initiale structurante et celle d’une formation continue véritablement adaptée aux évolutions du métier.
Malgré la volonté du législateur (loi ALUR du 24 mars 2014) d’encadrer la compétence professionnelle des collaborateurs, le vide réglementaire persistant montre que le dispositif reste loin des exigences initiales.
L’arrêt rendu par le Conseil d’État le 25 février 2025 * illustre l’urgence de remettre la question formation, donc de la compétence, au cœur de l’exercice professionnel.

L’affaire  

La loi ALUR du 24 mars 2014 avait prévu que les collaborateurs habilités à négocier, s’entremettre ou s’engager pour le compte d’un agent immobilier justifient d’une compétence professionnelle, définie par décret en Conseil d’État. Or, ce décret n’a jamais été publié, laissant un vide juridique préjudiciable à la profession et à ses acteurs.

Face à cette inertie, la FNAIM avait, en 2023, saisi le Premier ministre d’une demande préalable. Sans réponse, elle a alors porté l’affaire devant le Conseil d’État afin qu’une injonction soit prononcée.

La solution

Aux termes de son arrêt du 25 février 2025, le Conseil d’Etat pose d’abord le cadre :

  • L’article 3 de la loi du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d’exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce impose aux personnes qui, d’une manière habituelle, se livrent ou prêtent leur concours, même à titre accessoire, aux opérations portant sur les biens d’autrui et relatives à l’achat, la vente, la recherche, l’échange, la location ou sous-location d’immeubles ou de fonds de commerce d’être titulaires d’une carte professionnelle.
  • Ces personnes doivent, pour ce faire, satisfaire, notamment, à la condition de justifier de leur aptitude professionnelle.
  • Son article 4, issu de l’article 24 de la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, prévoit que : « Toute personne habilitée par un titulaire de la carte professionnelle à négocier, s’entremettre ou s’engager pour le compte de ce dernier justifie d’une compétence professionnelle, de sa qualité et de l’étendue de ses pouvoirs dans les conditions fixées par décret en Conseil d’Etat.

La haute juridiction administrative en déduit que :

  • Les dispositions de l’article 4 […] ne laissent pas à la libre appréciation du Premier ministre l’édiction du décret dont elles prévoient l’intervention. Si les conditions dans lesquelles ces collaborateurs négociateurs justifient de la qualité et de l’étendue de leurs pouvoirs sont fixées par les articles 9 et 10 du décret du 20 juillet 1972 susvisé, aucune disposition ne définit les conditions dans lesquelles les intéressés justifient de leur compétence professionnelle.
  • Si le décret du 28 août 2015 fixant le code de déontologie des activités de transaction et gestion des immeubles et fonds de commerce, qui, au demeurant, n’a pas été pris le Conseil d’Etat entendu, impose aux titulaires de la carte professionnelle, à l’article 5 de son annexe, de veiller à ce que leurs collaborateurs habilités à négocier, s’entremettre ou s’engager pour leur compte « remplissent toutes les conditions fixées par la loi et les règlements et qu’elles présentent toutes les compétences et les qualifications nécessaires au bon accomplissement de leur mission », il ne précise pas davantage, en tout état de cause, la nature et le contenu de ces compétences et qualifications.
  • Il résulte de ce qui précède que l’application des dispositions de l’article 4 de la loi du 2 janvier 1970 est, ainsi, impossible en l’absence du décret dont elles prévoient l’intervention.
  • Le retard dans l’adoption de ces dispositions réglementaires … excède ainsi le délai raisonnable qui était imparti au pouvoir réglementaire pour prendre le décret prévu à cet article.

Il en résulte l’annulation de « la décision par laquelle la Première ministre a refusé de prendre le décret prévu par le premier alinéa de l’article 4 de la loi du 2 janvier 1970 ».

Dans ces conditions, le Conseil d’Etat juge que :

  • L’annulation du refus de prendre le décret prévu par le premier alinéa de l’article 4 de la loi du 2 janvier 1970 implique nécessairement l’édiction de ce décret. Il y a lieu d’enjoindre au Premier ministre de prendre ce décret dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, sans qu’il y ait lieu, dans les circonstances de l’espèce, de prononcer une astreinte à l’encontre de l’Etat.

En pratique

La publication du décret à venir mettra fin à plus de dix ans d’incertitude, en permettant de clarifier les conditions de compétence professionnelle des collaborateurs d’agents immobiliers. Selon les recommandations de la FNAIM, cette formation initiale pourrait reposer sur deux critères alternatifs : soit une expérience professionnelle d’au moins 18 mois dans un poste similaire, soit un cursus minimum de 42 heures de formation, dont 28 heures en présentiel et 14 heures en distanciel), garantissant un socle théorique solide pour aborder les missions quotidiennes
Les collaborateurs déjà en poste à l’entrée en vigueur du décret seront réputés remplir ces conditions, offrant ainsi une transition fluide pour l’ensemble de la profession

Au-delà de l’initiation, la formation continue reste un pilier indispensable.
On rappelle qu’en l’état, chaque agent doit suivre 14 heures par an ou 42 heures sur trois ans, dont au moins 2 heures consacrées à la déontologie et 2 heures à la non-discrimination dans l’accès au logement, conformément au décret du 14 octobre 2020.
Loin d’être une simple obligation administrative, cette remise à niveau régulière permet de maintenir à jour les compétences face aux évolutions législatives et aux exigences croissantes des clients.

Dans un univers professionnel où la digitalisation redéfinit les modes de travail, les agents doivent désormais maîtriser des plateformes de mise en relation, qui mettent en concurrence et favorisent la collaboration inter-agences pour accélérer les ventes.
Parallèlement, l’intelligence artificielle s’immisce un peu partout : chatbots pour la relation client, outils d’estimation automatisée, algorithmes d’analyse de marché…
Autant d’outils à haut potentiel, mais aussi porteurs de risques : déshumanisation de la relation client, biais algorithmiques, atteintes à la vie privée, etc.
Il est donc essentiel que les agents immobiliers soient formés à l’utilisation éthique et responsable de ces outils, afin de préserver la confiance des usagers.

Ainsin cette injonction du Conseil d’État n’est pas une fin en soi : elle doit être le point de départ d’une vision globale de la formation, condition impérative pour restaurer la crédibilité d’une profession réglementée au service du public.

* Conseil d’Etat , 6e ch. jugeant seule, 25 févr. 2025, n° 492640.