Focus sur la délégation de mandat et le partage d’honoraires entre agents

A propos d’un arrêt rendu par la Cour d’Appel de Versailles le 26 septembre 2024 *

 

La délégation de mandat a pour intérêt non seulement un meilleur service au public, mais également la possibilité d’un partage d’honoraires entre deux agents. On sait qu’en la matière, la Cour de cassation laisse aux parties la charge de s’organiser, sous le contrôle cependant du juge (voir, en ce sens, l’arrêt rendu par la Cour de cassation du 11 mai 2022, précédemment rapporté dans ce blog).
Pour y parvenir, il existe un mécanisme simple et éprouvé : la délégation de mandat, admise entre professionnels, au visa du seul droit commun du mandat tel que défini par l’article 1994 du Code civil, donc sans qu’il soit fait application de la Loi Hoguet, laquelle ne vise à protéger que le mandant, dans ses rapports avec le mandataire.
Le droit commun des obligations est alors pleinement applicable, notamment dans le champ d’application de la délégation et au regard de ses conditions, et en toute hypothèse au regard de la charge probatoire des parties quant aux obligations respectives.
Les juridictions le rappellent avec constance, ainsi qu’en atteste l’arrêt ici rapporté, rendu par la Cour d’Appel de Versailles.

L’affaire

Un vendeur avait consenti à un agent un mandat de vente exclusif portant sur plusieurs lots de copropriété. Un autre agent avait alors pris attache avec le premier, aux fins de lui indiquer le contact d’un potentiel acquéreur. Une année plus tard, le vendeur avait consenti au second agent un mandat de vente sans exclusivité, avec délégation au profit du premier agent.
Une promesse de vente avait alors été conclure avec l’acquéreur présenté par le second agent au premier, prévoyant un partage d’honoraires déterminé, mais elle était demeurée sans suite.
Le vendeur avait ensuite donné à nouveau un mandat exclusif au premier agent, lequel avait consenti une délégation de mandat au second, avec prévision d’un partage d’honoraires sur les bases inverses de celles prévues à la première promesse dans le cas où une vente serait conclue par son intermédiaire.
Une promesse de vente était ensuite conclue avec un second acquéreur, prévoyant que les honoraires seraient dus intégralement au premier agent, suivie d’une réitération avec prévision des honoraires dans les mêmes termes.
Le second agent avait alors revendiqué un droit à honoraires, conforme à la répartition prévue aux termes de la dernière délégation, au motif notamment qu’il existait une « cession d’études contrats et documents » entre le premier acquéreur et le second ; ce à quoi le premier agent avait rétorqué qu’il avait, seul, trouvé ce second acquéreur.

La solution

Aux termes de son arrêt du 26 septembre 2024, la Cour d’Appel de Versailles rejette les prétentiosn du second agent :

  •  » [La seconde agence] se prévaut d’un accord de collaboration non formalisé avec [la première agence] en exécution duquel cette dernière s’est engagée à partager les honoraires payés dans le cadre de la vente des lots de copropriété [du vendeur]. Selon [la seconde agence], cet accord serait établi par le premier mandat de vente dont elle a bénéficié …. Toutefois, il doit être rappelé que dans le cadre du projet de vente [au premier acquéreur], [la seconde agence] avait communiqué [à la première agence] les coordonnées du candidat acquéreur, alors qu’elle ne justifie pas d’une démarche similaire à l’égard [du second acquéreur]. [La seconde agence] invoque également les délégations de mandat qui lui ont été consenties. Cependant, il ressort des pièces communiquées que seule une délégation de mandat a été accordée par [la première agence]… et qu’elle conditionnait le paiement d’honoraires au mandataire à la réalisation de la transaction par [la seconde agence], ce qui n’est pas démontré.

  • Le partage des honoraires figurant dans la promesse de vente consentie [au premier acquéreur] est sans effet sur le droit à rémunération [de la seconde agence], dès lors qu’elle n’a pas abouti à la régularisation d’un acte notarié de vente et que la cession de cette promesse [au second acquéreur] n’est… pas établie. Enfin, il ne peut être déduit des emails par lesquels [la première agence] a informé [la seconde agence] de l’évolution du projet que cette dernière y a collaboré, en l’absence de toute preuve de prestations accomplies par l’appelante ayant contribué à la réalisation de la vente au profit [du second acquéreur]. Ainsi, [la seconde agence] échoue à établir qu’elle avait conclu avec [la première agence] un accord de collaboration prévoyant, en toutes circonstances, un partage des honoraires attaché à la vente des biens [du vendeur].

En pratique

L’arrêt appelle ainsi à la vigilance, quant à la formalisation de la collaboration entre agents, et les termes de la délégation.
Il faut  en prévoir des termes non seulement suffisamment étendus, mais aussi réactualisés en fonction de l’évolution du mandat principal, qui constitue tout de même le socle et la raison d’être de cette délégation.
Au-delà, il est nécessaire que cette collaboration soit ponctuée d’échanges permettant de la retracer de manière suffisante.
C’est à ce prix que la coopération entre agents, respectivement mus par des intérêts bien compris, pourra être fructueuse.

 

* CA Versailles, ch. com. 3 1, 26 sept. 2024, n° 23/00348