Fiscalité et compromis de vente : la portée du devoir de conseil notarial
Dans les opérations immobilières complexes, la question fiscale n’est jamais un détail. Elle peut bouleverser l’équilibre d’un prix, remettre en cause un accord, et transformer une vente espérée en désillusion comptable.
C’est dans ce contexte qu’intervient un arrêt de la cour d’appel de Toulouse, rendu le 28 mai 2025, qui examine les conséquences d’une mauvaise anticipation de la TVA dans une vente immobilière, et la responsabilité du notaire face à une information mal interprétée.
L’affaire
Une SCI met en vente un terrain, sur lequel est implanté un bâtiment destiné à être rasé pour permettre la construction d’une maison médicale. Les acquéreurs posent une condition : la démolition devra être effectuée avant la réitération. Le vendeur s’engage donc, dans le compromis signé le 15 mars 2018, à procéder à la dépose de la toiture, de la charpente, des menuiseries et des installations, ne laissant que les murs bruts et la dalle.
Le prix de vente est fixé à 112 000 euros. Le compromis ne mentionne aucune TVA, et l’agent immobilier, dans un courriel adressé au notaire des acquéreurs, confirme que le prix doit s’entendre toutes taxes comprises, sans assujettissement à la TVA. L’information est également adressée à l’étude notariale du vendeur.
L’acte authentique est signé plus d’un an plus tard, le 30 juillet 2019. La clause de démolition ayant été exécutée, le bien est requalifié en terrain à bâtir, et le notaire applique la TVA. En reconnaissant l’erreur commise au moment du compromis. Sur les 112 000 euros convenus, le vendeur doit donc reverser près de 19 000 euros à l’administration fiscale.
Estimant avoir été privé d’une juste information sur cette conséquence, le vendeur assigne le notaire en responsabilité, reprochant un manquement à son devoir de conseil.
Par jugement du 24 janvier 2023, le tribunal judiciaire de Toulouse reconnaît la faute du notaire, mais rejette la demande d’indemnisation, en l’absence de démonstration d’un préjudice certain. Cette décision est confirmée par la cour d’appel.
La solution
La cour d’appel confirme la faute du notaire, sur des principes clairs, et conformes à la jurisprudence habituelle :
- « Le notaire est tenu d’informer et d’éclairer les parties sur la portée et les effets, notamment quant à ses incidences fiscales, ainsi que sur les risques de l’acte auquel il prête son concours, et, le cas échéant, de leur déconseiller, sans que leurs compétences personnelles ni la présence d’un conseiller à leur côté ne le dispensent de son devoir de conseil. Cette obligation doit prendre en considération les mobiles des parties, extérieurs à l’acte, lorsque le notaire en a eu précisément connaissance. ».
Elle relève que le notaire, en retranscrivant dans le compromis l’information communiquée par l’agent immobilier selon laquelle la vente n’était pas assujettie à la TVA, a omis d’en vérifier la validité au regard des clauses insérées, notamment la clause de démolition, qui impliquait au contraire l’assujettissement.
Ce dont la Cour détuit un manquement du notaire dans son devoir d’information et de conseil.
Pour autant,elle rejette l’indemnisation, considérant que la perte de chance invoquée par le vendeur n’est pas démontrée.
A cette fin, elle pose d’abord le principe :
- « Une perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu’est constatée la disparition d’une éventualité favorable, de sorte que sa réparation ne peut être écartée que s’il peut être tenu pour certain que la faute n’a pas eu de conséquence sur la situation du vendeur. »
Or selon la cour, aucun scénario alternatif — ni montage contractuel, ni option fiscale, ni renoncement à la clause de démolition — n’aurait permis de vendre autrement :
- « La perte de chance est, en l’espèce, celle de vendre le bien au prix espéré sans régler la Tva. [La venderesse] soutient dans ses écritures sans être contesté sur ce point par la société notariale, qu’elle connaissait des difficultés financières à l’origine de la vente du bien en sorte qu’elle n’a pu différer la transaction immobilière en l’état des conditions souscrites. Dans ce contexte tenu pour constant, pour que [la venderesse] prétendre à être indemnisée au titre de la perte de chance, il doit être démontré qu’il existait une possibilité de vendre au prix espéré au bénéfice d’une bonne information et d’un meilleur conseil.
- Ce prix avait été déterminé en fonction d’une condition exprimée de manière claire comme étant substantielle et déterminante pour les acquéreurs, visant à la démolition par le vendeur de l’immeuble construit sur le terrain, objet de la vente. Ainsi que l’a relevé le premier juge, le notaire ne pouvait se prêter à une fraude consistant à dissimuler l’existence de cette condition en vendant le bien bâti et en rédigeant parallèlement à l’acte authentique de vente une convention de travaux de démolition. Un tel montage aurait de surcroît nécessité des garanties données aux acquéreurs en différant la perception du prix de vente sans pour autant sécuriser l’opération aussi efficacement que la vente convenue entre les parties. Ensuite, l’objectif poursuivi par les acquéreurs, visant à la construction d’un centre médical et à procéder ainsi à une opération unique en vue de l’exercice de leur activité professionnelle étrangère à la promotion immobilière, rendait illusoire la perspective de les convaincre d’opter pour l’assujettissement de la Sci qu’ils envisageaient de créer pour se substituer à eux, à l’impôt sur les sociétés pour récupérer la Tva sur les travaux de démolition.
- À défaut de toute autre possibilité de vendre le bien avec sa construction dont sa valeur ne l’a manifestement pas épargnée de la démolition à la charge des vendeurs, il résulte concrètement des faits de l’espèce que la faute commise par le notaire n’a pas fait perdre à la Sci Martens et Associés une éventualité favorable ».
Sur ce motif, la cour ne retient donc pas la possibilité de rediscuter le prix net vendeur, cette piste n’ayant manifestement pas été développée dans les écritures.
En pratique
Cette décision mérite d’être lue à plusieurs niveaux.
D’abord, pour les notaires, elle rappelle que le devoir de conseil s’exerce dès le compromis, et non seulement à l’acte authentique. L’argument selon lequel le compromis n’était qu’un acte préparatoire ne tient pas : il fixe des obligations, engage les parties, et peut avoir des effets fiscaux majeurs. Le notaire doit donc analyser, interroger, alerter — non se contenter de retranscrire. Et il doit prendre en compte, le cas échéant, « les mobiles des parties », lorsque ceux-ci ont été portés à sa connaissance.
Ensuite, pour le vendeur mal conseillé, elle rappelle une exigence contentieuse : pour obtenir réparation d’une perte de chance, encore faut-il qualifier cette chance, en démontrer la réalité, et expliquer en quoi elle aurait pu raisonnablement modifier l’issue. Ici, la cour s’est refusée à reconstruire ce que l’appelant n’avait pas vraiment plaidé – sauf à ce que, sur ce point, elle ait négligé de statuer sur un tel moyen, ce qui n’est, hélas, pas impossible.
Enfin, pour l’agent immobilier, cette affaire offre une illustration précieuse. Il n’a pas été mis en cause. Et pour cause : il a documenté l’information transmise, dans un courriel adressé au notaire. Il ne s’est pas improvisé rédacteur d’acte, ni fiscaliste : il a transmis, sans valider. Et cela l’a protégé.
Ce qui aurait été différent s’il avait lui-même rédigé le compromis. Car en pareil cas, l’agent ne se borne plus à transmettre des informations : il devient l’auteur d’un acte générateur d’obligations, et à ce titre porte la responsabilité des conséquences qu’il ne peut ignorer.
Dans l’affaire commentée, il a eu le bon réflexe : s’en tenir à son rôle. Mais le bon réflexe, aujourd’hui, ne suffit plus — encore faut-il savoir le tracer, pour pouvoir un jour le démontrer.