Entremise et rédaction d’acte : l’agent immobilier face à ses responsabilités
Un dossier peut paraître simple dans sa mécanique, tout en dissimulant des difficultés juridiques sérieuses. Ce n’est pas toujours l’acte qui est complexe, mais son environnement : servitudes anciennes, règles de lotissement, statuts d’associations syndicales, documents non publiés mais toujours en vigueur.
Lorsque l’intermédiaire immobilier intervient à la rédaction, il engage sa responsabilité au-delà de son rôle d’entremise. D’autant plus que cette activité rédactionnelle, permise par la loi Hoguet, reste accessoire et doit être maniée avec prudence.
L’arrêt rendu le 7 avril 2025 par la cour d’appel de Bordeaux (n° 23/01743), à propos d’un compromis portant sur un terrain en lotissement, illustre très clairement les risques encourus. L’agent rédacteur y est reconnu fautif pour ne pas avoir vérifié l’existence d’une restriction à la constructibilité. Et s’il échappe à la condamnation, ce n’est qu’en raison d’une défaillance probatoire… qui aurait pu ne pas exister.
L’affaire
Un acquéreur professionnel signe une promesse de vente pour un lot de lotissement, avec pour objectif la construction de quatre maisons individuelles. La promesse, rédigée par l’agent immobilier, contient une condition suspensive : l’obtention d’un permis de construire purgé de tout recours.
Le permis est obtenu, mais deux recours gracieux sont formés par des colotis, suivis d’un recours contentieux. Motif : le règlement du lotissement impose un seul logement par lot.
La vente devient caduque. L’acquéreur demande alors à l’agent la restitution du dépôt de garantie et l’indemnisation de ses frais (architecte, géomètre, huissier), au motif qu’il n’a pas été informé de cette restriction pourtant connue, et que cette omission engage la responsabilité de l’intermédiaire.
La solution
La cour d’appel de Bordeaux rappelle, dans des termes particulièrement pédagogiques, la portée du devoir de l’agent immobilier rédacteur d’acte :
- « L’agent immobilier, intermédiaire professionnel, qui prête son concours à la rédaction d’un acte après avoir été mandaté par l’une des parties, est tenu de s’assurer que se trouvent réunies toutes les conditions nécessaires à l’efficacité juridique de la convention, et ce même à l’égard de l’autre partie.
Ce devoir de vérification a pour corollaire une obligation de renseignement et de conseil. À cet égard, l’agent immobilier doit donner à son mandant toute information utile quant à la bonne fin de l’opération.
L’obligation de renseignement consiste à fournir au client des informations objectives lui permettant d’opérer un choix éclairé.
Enfin, il doit s’assurer de la validité et de l’efficacité des actes qu’il confectionne. »
En l’espèce, l’agent n’a pas consulté ni signalé le règlement du lotissement ni les statuts de l’ASL. Il n’a pas alerté l’acquéreur sur une clause restrictive prévoyant « un seul logement par lot ». La cour retient donc que :
- « L’agent] n’a pas attiré l’attention de [l’acquéreur] sur les restrictions au droit de construire, alors [qu’il] avait le devoir de fournir une information complète sur la situation exacte du bien. »
Elle ajoute que ces restrictions étaient de nature à susciter des recours en annulation du permis de construire et donc à entraîner la caducité de la vente. Peu importe que le règlement ait ensuite été jugé caduc par le tribunal administratif : ce jugement est intervenu après l’échec de la promesse. L’agent n’était pas fondé à anticiper seul cette caducité, encore moins à la taire.
- « Il ne lui appartenait pas de juger du caractère valide ou non des statuts de l’ASL et du règlement du lotissement. [l’agent] avait le devoir de fournir […] une mise en garde contre toute éventualité qui pourrait être source de préjudice. »
Mais la cour rejette la demande d’indemnisation. Pourquoi ? Parce qu’elle considère que le préjudice n’est pas prouvé de manière suffisante : le projet a échoué, mais la faute n’est pas démontrée comme la cause directe de l’intégralité des frais exposés.
La cour requalifie le préjudice en perte de chance de ne pas contracter, sans retenir pour autant d’indemnisation, faute d’allégation en ce sens. Une décision sévère sur le terrain probatoire, mais qui n’atténue en rien l’exigence juridique qui pèse sur l’agent.
La solution
Rédiger un acte, ce n’est pas anodin. Et ce n’est pas – au sens strict – le coeur de métier de l’agent immobilier. S’il y est autorisé dans le cadre de l’article 6 de la loi Hoguet, c’est uniquement pour accompagner son activité d’entremise. Or, dès lors qu’il s’engage dans une rédaction d’acte, il en devient garant de l’efficacité juridique, et s’expose aux mêmes exigences que le notaire : vérification, conseil, sécurisation.
L’affaire commentée en fournit une illustration rigoureuse : l’agent est fautif pour ne pas avoir identifié une clause du règlement interdisant la construction de plusieurs logements. Il ne pouvait en présumer la caducité. Il ne pouvait faire l’économie d’une alerte. Il devait informer, documenter, mettre en garde.
Et s’il échappe ici à la condamnation, ce n’est que parce que l’acheteur n’a pas su démontrer le lien de causalité entre la faute et le préjudice, n’ayant pas su remplir ses devoirs procéduraux quant à la charge de l’allégation. Les bases de la responsabilité, elles, était bien posées.
Dans ce type de dossier, la pratique solitaire devient un facteur de risque. Dès lors que le projet suppose une analyse technique — règlement de lotissement, statuts d’ASL, contraintes d’urbanisme — il est non seulement prudent, mais professionnel, de faire appel au notaire.
Il arrive que les agents se montrent réticents, estimant que les notaires n’avancent pas au même rythme, ou que les pratiques rédactionnelles prennent le pas sur la fluidité. Quoiqu’elles puissent exister, ces difficultés peuvent être dépassées par l’instauration de véritables habitudes de travail en commun. De nombreux notaires sont aujourd’hui disposés à une collaboration fondée sur la confiance et le service au client.
Dans un marché immobilier plus exigeant, où l’acquéreur prend l’initiative, le professionnalisme ne réside plus seulement dans la technicité individuelle, mais dans la capacité à créer une synergie efficiente et utile.
Et c’est bien cela, au fond, qui légitime le rôle de chacun.