Des incidences de la loi Hoguet sur la structuration des réseaux d’agences immobilières

Dans les réseaux immobiliers, le développement territorial repose souvent sur un contrat de licence ou de franchise. L’idée : confier une zone à un entrepreneur motivé, sous la bannière d’une marque déjà identifiée. Mais ces opérations apparemment standardisées cachent un terrain miné : la détention de la carte professionnelle, exigée par la loi Hoguet, n’est pas qu’une formalité administrative. Elle conditionne la validité même de certains contrats.

Un arrêt rendu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 2 avril 2025 *, en fournit une illustration éclairante : un contrat de licence de marque annulé, faute pour le cocontractant d’avoir la carte au jour de la signature. Et surtout, faute d’avoir juridiquement encadré cette absence par une condition suspensive.

L’affaire

Une enseigne immobilière nationale conclut, le 27 mai 2019, un contrat de licence de marque avec un entrepreneur souhaitant développer une agence dans une zone donnée. Le contrat prévoit un droit d’exploitation de la marque moyennant une redevance mensuelle de 1 000 € HT sur cinq ans, soit 72 000 €.

Le licencié n’était pas titulaire de la carte professionnelle au moment de la signature. Les deux parties en étaient parfaitement conscientes, et c’est pourquoi elles étaient convenues de différer la prise d’effet du contrat au 1er décembre 2019, dans l’espoir que le temps laissé permettrait au licencié d’obtenir sa carte via une validation des acquis de l’expérience.

Mais le projet n’aboutit pas. L’agence ne voit jamais le jour, aucun règlement n’intervient, et les deux chèques remis pour solder une tentative de résiliation amiable reviennent impayés.

L’enseigne considère l’accord de résiliation comme caduc et assigne le licencié devant le tribunal de commerce de Nice pour obtenir le paiement de la somme contractuellement prévue, soit 72 500 euros, outre 2 500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

En première instance, le tribunal donne raison à l’enseigne. Mais le licencié interjette appel. Il demande non seulement l’infirmation du jugement, mais surtout la nullité du contrat, au motif que, n’étant pas titulaire de la carte professionnelle, il ne pouvait valablement s’engager à exploiter une activité immobilière.

La solution

La cour d’appel d’Aix-en-Provence commence par rappeler les fondements juridiques :

  • « Aux termes de l’article 1162 du code civil, le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties. »
  • « L’article 3 de la loi 70-9 du 2 janvier 1970, d’ordre public, ne permet l’exercice de l’activité d’agent immobilier qu’aux personnes physiques ou morales titulaires d’une carte professionnelle. »

Puis elle examine le contenu du contrat, présenté comme une simple licence de marque. Or, plusieurs clauses sont sans équivoque :

  • le contrat vise « la promotion et vente des services rendus par les agences immobilières » (article 1),

  • il est conclu intuitu personae en considération de la « qualité de professionnel » du licencié (article 1.10),

  • certaines formations sont « obligatoirement suivies par le titulaire de la carte professionnelle » (annexe 4.2.2).

La cour en déduit que le contrat avait pour seul et unique but l’exploitation d’une activité d’agent immobilier, activité réglementée au sens de la loi Hoguet.

Surtout, bien que les parties aient différé la prise d’effet du contrat, aucune clause de condition suspensive n’avait été prévue pour subordonner l’efficacité du contrat à l’obtention de la carte professionnelle.

  • « L’objet du contrat a par conséquent un caractère illicite en ce qu’il vise l’exploitation d’une activité d’agent immobilier alors que les parties savaient que [le licencié] n’en était pas titulaire, et le contrat doit être annulé. »

La cour annule donc le contrat, infirme le jugement de première instance et rejette toutes les demandes contractuelles.

Elle condamne néanmoins le licencié à verser 3 000 euros de dommages et intérêts pour avoir laissé l’enseigne dans l’incertitude, l’empêchant de réattribuer la zone concernée.

En pratique

Ce n’est pas l’absence de la carte qui posait problème. C’est le fait de ne pas avoir juridiquement traduit cette absence dans la structure du contrat.

Un simple différé de prise d’effet ne vaut pas condition suspensive. Et lorsque l’objet du contrat touche à une activité réglementée, ce manque suffit à entraîner sa nullité.

Cette décision rappelle que le droit de l’agence immobilière ne se limite pas à l’exercice professionnel : il encadre aussi les modalités de contractualisation en amont, dans le cadre du développement de réseau.

Et c’est précisément là qu’intervient l’avocat : non pour réparer, mais pour structurer. Une clause de condition suspensive aurait suffi. Elle aurait aligné la logique du contrat sur les exigences du droit. Elle aurait évité le contentieux.

* CA Aix-en-Provence, ch. 3 1, 2 avr. 2025, n° 20/09366.