De la responsabilité personnelle du gérant de l’agence en cas d’activation de la garantie financière

Dans une précédent note de blog, nous avions rappelé que le mandat devait mentionner non seulement l’identité du garant financier, mais aussi son adresse, conformément à l’article 6 de la loi Hoguet. Pour certains, une exigence purement formelle. Pour d’autres, une précaution inutile.
Mais, en ligne avec une jursiprudence bien établie, un arrêt de la cour d’appel de Lyon du 3 avril 2025 montre que la mise en œuvre de la garantie n’a rien de théorique. Et que, pour les agents immobiliers, les obligations liées à la gestion des fonds des mandants ne s’effacent pas avec la liquidation de leur structure.

La garantie financière joue au bénéfice des mandants. Mais une fois les fonds indemnisés, le garant peut se retourner contre l’agent, personne physique, ou le gérant de l’agence, au-delà de la personnalité morale.

L’affaire

Le gérant d’une agence immobilière, exploitée sous forme de SARL, exerçait à la fois des activités de transaction et de gestion locative. Cette structure avait, comme la loi l’impose, souscrit une garantie financière auprès d’un organisme habilité. En 2016, confrontée à des difficultés croissantes, l’agence est placée en liquidation judiciaire. La procédure est clôturée l’année suivante pour insuffisance d’actif.

Mais plusieurs mandants — propriétaires bailleurs ou locataires — ne récupèrent pas les fonds qui leur étaient dus : dépôts de garantie, loyers encaissés, soldes de gestion. Le garant financier est alors sollicité. Après examen des dossiers, il procède à l’indemnisation des intéressés.

En 2018, le garant assigne le gérant à titre personnel devant le tribunal de commerce de Saint-Étienne. Il lui reproche d’avoir manqué à ses obligations les plus fondamentales, et sollicite la condamnation du dirigeant à lui rembourser les sommes versées dans le cadre de la garantie.

En première instance, le tribunal retient la faute, mais limite le montant de l’indemnisation.
Le garant interjette appel. Le gérant aussi. Et c’est devant la cour d’appel de Lyon, statuant le 3 avril 2025, que l’affaire trouve son issue.

La solution

La cour d’appel retient sans ambiguïté la responsabilité personnelle du gérant, au visa de l’article L. 223-22 du code de commerce, lequel permet d’engager la responsabilité des gérants de SARL à raison des fautes commises dans leur gestion.

En l’espèce, cette faute réside dans la violation des règles d’ordre public régissant la gestion des fonds mandants. La cour mobilise l’article 55 du décret du 20 juillet 1972, qui impose l’ouverture d’un compte séquestre spécifiquement affecté à la réception des fonds confiés :

  • « Le titulaire de la carte professionnelle […] est tenu de faire ouvrir, à son nom, […] un compte qui est spécialement affecté à la réception des versements ou remises mentionnés à l’article 5 de la loi du 2 janvier 1970 […], à l’exclusion des sommes représentatives des rémunérations ou commissions. »

Ce compte doit être unique, fonctionnant sous la seule signature du titulaire ou de ses représentants, et ne peut faire l’objet d’aucune compensation avec les autres comptes de la société. La cour précise expressément que :

  • « Les dispositions de la loi du 2 janvier 1970 et du décret du 22 juillet 1972 sont des dispositions d’ordre public. »

En l’espèce, si les comptes requis avaient bien été ouverts, les fonds mandants n’y avaient pas été isolés comme il se doit, ce qui a empêché les intéressés d’en obtenir restitution après la liquidation judiciaire.

Or ces sommes, souligne la cour, n’appartiennent pas à l’agence, et ne peuvent jamais être intégrées à sa trésorerie.
Elles restent la propriété des mandants, y compris en cas de défaillance de l’agent.

L’utilisation de ces fonds en dehors du compte séquestre constitue dès lors, selon la cour :

  • « Une faute détachable des fonctions de gérant […], le défaut d’affectation ou de gestion des fonds conformément aux dispositions légales et réglementaires ne pouvant qu’être contraire à l’intérêt social. »

La faute est donc caractérisée au regard des textes précités, et la responsabilité du gérant engagée indépendamment de toute procédure collective ou de faute pénale.
Elle justifie que le garant, après indemnisation des mandants, obtienne remboursement intégral des sommes versées, sur le fondement de la subrogation légale (art. 1346 c. civ.) et du droit commun de la responsabilité (art. 1240 c. civ.).

Le gérant est donc condamné à verser au garant financier la somme de 39 202,17 euros, avec intérêts depuis la mise en demeure de 2017, ainsi que 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

En pratique

Cette décision illustre de façon claire que la garantie financière ne protège pas l’agent, mais ses mandants. Et que cette protection fonctionne : lorsqu’un client ne peut récupérer les fonds confiés, le garant peut être actionné — à condition que ses coordonnées figurent sur le mandat, ce qui en souligne l’intérêt pratique.

Mais elle rappelle aussi que la garantie ne vaut pas effacement : le garant peut se retourner contre le gérant à titre personnel, sans se heurter à la clôture de la liquidation. Le manquement à l’obligation d’affectation des fonds — pourtant simple à respecter — suffit à caractériser une faute détachable.

En somme, la garantie financière n’est pas un bouclier passif. Elle est un mécanisme actif de protection des clients, structuré autour d’exigences d’ordre public, qui engagent pleinement la responsabilité de l’agent immobilier, dans le prolongement même de sa qualité de professionnel réglementé.

* Cour d’Appel de Lyon, 3ème Chambre A, 3 avril 2025