De l’importance pour le syndic d’une gestion de sinistre efficace et documentée
Dans la vie d’une copropriété, certains sinistres transforment le syndic en chef d’orchestre d’une urgence complexe.
Il faut constater, sécuriser, décider, coordonner.
Sous l’œil des copropriétaires… et parfois, des juges, longtemps après.
Car dans ces affaires, tout se rejoue sur deux terrains : ce qui a été fait, et la preuve qu’on l’a fait.
Exemple notable avec un arrêt de la Cour d’appel de Caen du 5 août 2025 (*), rendu 17 années après les faits.
L’affaire
L’été 2008 est marqué par deux sinistres distincts, affectant deux appartements détenus par une copropriétaire dans un immeuble d’habitation.
16 août 2008 : un dégât des eaux révèle la présence de mérule dans les parties communes.
9 septembre 2008 : au rez-de-chaussée, des travaux d’ouverture d’un mur porteur dans un local commercial provoquent un affaissement du mur de refend et des fissures importantes dans ses logements.
L’urgence est palpable : un immeuble fragilisé, des fissures spectaculaires, et la nécessité de protéger les habitants.
Le syndic n’est pas spectateur, il est à la manœuvre.
Dès la survenance des désordres, il missionne un ingénieur pour constater les dégâts, arrête le chantier, fait évacuer l’immeuble, déclare les sinistres, recueille des devis.
L’assemblée générale du 29 octobre 2008 valide les travaux, confiés à un architecte pour traiter à la fois les conséquences du tassement et celles du dégât des eaux.
Lorsque la copropriétaire assigne, elle adopte une approche large : sont visés le propriétaire du local commercial, l’entreprise qui a conduit les travaux, son sous-traitant, leur assureur, le syndicat et le syndic.
Le terrain principal est celui des troubles anormaux de voisinage :
– responsabilité de plein droit du maître de l’ouvrage pour les désordres provenant de son immeuble,
– responsabilité de l’entrepreneur pour les dommages causés aux voisins par ses travaux,
– et limites classiques, notamment pour l’entrepreneur principal vis-à-vis des actes de son sous-traitant.
Le syndic, lui, est recherché sur le fondement de l’article 18 de la loi du 10 juillet 1965, pour prétendue mauvaise gestion.
En 2017, le tribunal retient certaines responsabilités au titre du trouble anormal de voisinage, mais met hors de cause le syndic et le syndicat. L’appel, interjeté par la copropriétaire, ouvre un nouveau chapitre procédural, ponctué d’une expertise judiciaire ordonnée en 2020 et achevée en 2024.
La solution
La cour d’appel de Caen, dans son arrêt du 5 août 2025, confirme les principes classiques du trouble anormal de voisinage – tout au moins, avant l’entrée en vigueur du nouvel article 1253 du Code civil :
– le maître de l’ouvrage est responsable des désordres provenant de travaux réalisés avec son accord et sans les précautions nécessaires,
– l’entrepreneur est responsable de plein droit des dommages causés aux voisins par les travaux qu’il exécute,
– mais l’entrepreneur principal n’est pas responsable des dommages causés par son sous-traitant, sauf implication directe.
Ce n’est qu’après avoir fixé ce cadre que la cour examine la situation du syndic :
- « Il n’est pas discuté que le syndic a, dès l’apparition du sinistre, procédé, dans des délais rapides, à la désignation d’un ingénieur conseil pour constater les dégâts et, sur ses recommandations, fait évacuer l’immeuble, puis pris les mesures pour faire établir les devis de travaux de reprise et régulariser les travaux… »
La cour ajoute qu’il n’avait pas à vérifier, en amont, le respect des conditions posées pour la réalisation des travaux (recours à un architecte, étude par un ingénieur, constat préalable par huissier), dès lors qu’il n’avait aucun contact direct avec le locataire commercial qui les exécutait.
Elle relève aussi que l’expert judiciaire « n’a rien trouvé à redire sur le délai d’exécution des travaux », compte tenu de la complexité du chantier et de la nécessité de traiter la mérule dans le même temps.
Enfin, elle écarte les griefs relatifs à un prétendu retard dans le lancement du chantier :
- « Le syndic n’avait aucune obligation de sécurité ou de résultat à l’égard des copropriétaires. (…) Aucune faute ne saurait lui être reprochée pour la période avant la survenance des désordres. »
Pour la suite, elle juge que les diligences ont été accomplies dans un délai adapté, que la copropriétaire a été tenue informée, et qu’aucune omission fautive ne peut être retenue.
Résultat : le syndic sort totalement indemne du contentieux, tout comme le syndicat, dont la responsabilité de plein droit (article 14 de la loi du 10 juillet 1965) n’était pas engagée faute de vice de construction ou de défaut d’entretien à l’origine des désordres.
En pratique
Pour un syndic, cette décision est un cas d’école :
– La rapidité d’action n’est pas qu’un réflexe : c’est un élément-clé de la responsabilité.
– Chaque étape doit être tracée : constats, devis, décisions d’assemblée, choix techniques.
– En cas de pluralité de sinistres, le regroupement des travaux peut être justifié… à condition de pouvoir démontrer que cela n’a pas retardé les mesures urgentes.
La cour rappelle aussi un point souvent mal compris : le syndic n’est pas tenu de contrôler, avant leur réalisation, les conditions techniques de travaux engagés par un copropriétaire ou un locataire commercial, surtout s’il n’a pas de contact direct avec ce dernier.
Cette absence d’obligation de contrôle en amont ne dispense pas d’agir vite en cas de désordre, mais elle écarte la mise en cause sur ce terrain si la réactivité et la méthode sont au rendez-vous.
Ce type de décision n’est pas seulement un « bon point » judiciaire : c’est une feuille de route.
Chaque syndic devrait pouvoir, à tout moment, reconstituer le film complet de sa gestion d’un sinistre.
Non pas pour se justifier, mais pour prouver qu’il a conduit la manœuvre avec professionnalisme – et être prêt à en répondre devant un juge, dix ou quinze ans plus tard.
Ce jugement rappelle enfin que le syndic n’est pas tenu d’une obligation de résultat face aux désordres causés par un tiers, mais bien d’une obligation de diligence et de prudence.
Et que lorsque ces exigences sont remplies, avec preuves à l’appui, la justice peut le dire clairement : « rien à redire ».