Le parasitisme au service du CGP
Les conseillers en gestion de patrimoine qui développent des contenus pédagogiques sur les dispositifs fiscaux le savent : un bon guide fiscal est un outil à haute valeur ajoutée, qu’il s’agisse d’attirer des prospects ou de structurer leur conseil. Un tel guide doit combiner expertise technique et pédagogie. Mais lorsqu’un tiers se contente de copier sans vergogne ce travail, en le reprenant mot pour mot, la jurisprudence le traite comme une faute.
Comme tout acteur économique, quelle que soit sa taille, le CGP bénéficie de la construction doctrinale et jurisprudentielle du parasitisme, concept autonome issu du droit de la concurrence déloyale. C’est ce que rappelle la Cour d’Appel de Toulouse, aux termes d’un arrêt du 20 mai 2025.
L’affaire
Un CGP, exerçant en nom propre , avait publié dès 2009 un guide complet sur le dispositif Malraux. L’ensemble, rédigé sous forme de questions-réponses, illustré de tableaux et enrichi de simulations, visait à vulgariser la complexité du régime pour les internautes non juristes. Et, de manière prudente – prémonitoire, même -, il avait fait procéder à un constat d’huissier sur le contenu de son site internet.
En 2020, le CGP découvre qu’un courtier en financement, a publié sur son propre site un article structuré à l’identique : mêmes titres, même plan, mêmes tableaux, avec de nombreuses reprises à l’identique du texte initial. D’où la mise en demeure de ce même courtier, de retirer de son site internet le contenu plagié, en vain.
Après avoir fait délivrer assignation au courtier de comparaître devant le tribunal de commerce de Toulouse, le CGP est débouté de sa deamnde.Mais aux termes de son arrêt du 20 mai 2025, la cour d’appel infirme ce jugement.
La solution
La cour reprend à son compte les fondamentaux de la construction du parasitisme :
- Il ressort des dispositions des articles 1240 et 1241 du code civil que tout fait quelconque de l’homme qui cause un dommage à autrui, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
- Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
- La libre concurrence supposant la licéité du dommage concurrentiel, l’action en concurrence déloyale repose sur une responsabilité pour faute prouvée et non sur une présomption de responsabilité ; c’est au demandeur de rapporter la preuve de la faute.
- La jurisprudence reconnaît plusieurs fautes constitutives de concurrence déloyale, à savoir le dénigrement, les pratiques ayant désorganisé l’entreprise, un réseau de distribution ou un marché tout entier, la confusion par imitation ou par copie servile, et le parasitisme économique.
- En l’espèce, c’est le parasitisme économique qui est invoqué par l’appelant.
- Le parasitisme économique est une forme de déloyauté, constitutive d’une faute au sens de l’article 1240 du code civil, qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d’un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.
- Le parasitisme résulte d’un ensemble d’éléments appréhendés dans leur globalité, indépendamment de tout risque de confusion.
- Il appartient à celui qui se prétend victime d’actes de parasitisme d’identifier la valeur économique individualisée qu’il invoque, ainsi que la volonté d’un tiers de se placer dans son sillage.
- Le savoir-faire et les efforts humains et financiers propres à caractériser une valeur économique identifiée et individualisée ne peuvent se déduire de la seule longévité et du succès de la commercialisation du produit.
- Les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en oeuvre par un concurrent ne constitue pas, en soi, un acte de parasitisme.
Pour appliquer cette construction en l’espèce, la Cour d’appel constate que :
- le guide publié sur le site [du CGP] constitue une explication des textes, dans un langage accessible au public non rompu à ce type de dispositif de défiscalisation, sous forme de question/réponse, agrémenté de tableaux et de simulations caractérisant un effort particulier d’analyse, de vulgarisation et de présentation du dispositif Malraux de la part [du CGP].
- Il ne s’agit donc pas d’une simple synthèse de la législation applicable, mais bien d’un effort intellectuel produit par l’appelant.
Par suite, la Cour estime que:
- le comportement fautif [du courtier], qui a exploité le travail et l’effort intellectuel réalisé par [le CGP] pour réaliser son guide du dispositif « Loi Malraux », avec la volonté de se placer dans son sillage pour capter une nouvelle clientèle en faisant l’économie d’un tel travail, est constitué.
La cour juge ainsi constitué le comportement fautif, mais limite l’indemnisation à 5 000 euros pour le seul préjudice moral, faute de preuve suffisante du préjudice économique allégué (trafic, déréférencement, perte d’image).
En pratique
L’affaire rappelle qu’un contenu pédagogique ne se réduit pas à un « produit d’appel marketing » : il peut constituer un actif à part entière, fruit d’un investissement intellectuel et structurant, dont la valeur est juridiquement protégée.
Pour les CGP, cela implique de documenter rigoureusement leur travail éditorial : datation, méthode, choix des sujets, tableaux, illustrations, etc. Car ce n’est pas le contenu juridique brut qui est protégé, mais l’effort de mise en forme, de clarification et de structuration. Avec, le cas échéant, un travail sur la preuve, de manière à rendre possible une protection en Justice.
Faut-il pour autant craindre que ces problématiques deviennent obsolètes à l’heure de l’intelligence artificielle ?
À première vue, l’IA permet à chacun de produire ses propres contenus : plus besoin de copier. Mais à y regarder de plus près, cette facilité masque un nouveau risque. Car un texte généré sans effort propre, sans personnalisation ni structuration, n’a pas plus de valeur qu’un copier-coller. Et ne sera pas mieux protégé.
L’intelligence artificielle peut assister le professionnel, mais elle ne le remplace ni dans sa réflexion, ni dans son positionnement. Celui qui délègue intégralement sa parole à l’IA s’expose au même vide que celui qui recopie : absence de substance, absence de signature, et à terme, absence de légitimité.