De la responsabilité de l’agent au regard du financement de l’opération

Lorsque la vente ne se réitère pas pour défaut de financement, le professionnel de l’intermédiation se retrouve souvent exposé. L’agent immobilier, en particulier, est sommé de justifier ce qu’il a dit, ce qu’il a fait – ou ce qu’il aurait dû faire. A-t-il suffisamment accompagné l’acquéreur dans ses démarches ? A-t-il veillé à ce que les conditions du compromis soient respectées ? A-t-il alerté sur les conséquences d’un refus de prêt ?

Ce sont ces questions que pose une affaire jugée par la cour d’appel de Colmar le 15 mai 2025. L’occasion de préciser, à travers un contentieux très concret, ce qui relève, ou non, de la responsabilité de l’agent.

L’affaire

Un immeuble de quatre appartements est proposé à la vente au prix de 220 000 euros, par l’intermédiaire d’un agent immobilier exerçant sous enseigne. Le 24 février 2020, un compromis de vente est signé avec un acquéreur, comportant une condition suspensive d’obtention de prêt. Celle-ci précise que l’emprunt devra répondre à des caractéristiques strictes : montant maximal de 224 875 euros, durée de 300 mois, taux nominal de 2 %. L’acquéreur s’engage à effectuer les démarches auprès de deux établissements bancaires au minimum.

La vente n’est pas réitérée. Un seul refus de prêt conforme est produit. Le vendeur réclame l’application de la clause pénale de 18 000 euros prévue au compromis. L’acquéreur, de son côté, met en cause l’agent, estimant que ce dernier aurait dû le prévenir que ses démarches ne suffisaient pas, et l’alerter sur les conséquences juridiques d’un refus non conforme.

Par jugement du 5 juillet 2022, le tribunal judiciaire de Mulhouse accueille la demande du vendeur, condamne l’acquéreur au paiement de la clause pénale, et écarte toute responsabilité de l’agent. La cour d’appel de Colmar, saisie par l’acquéreur, confirme cette décision par arrêt du 15 mai 2025.

La solution

La cour rappelle d’abord le cadre contractuel, usuel, prévoyant que toute demande non conforme aux stipulations contractuelles notamment quant au montant emprunté, au taux et à la durée d’emprunt entraînera la réalisation fictive de la condition au sens de l’article 1304-3 du Code civil. Constatant que les refus produits ne respectaient pas les paramètres convenus (montant, durée ou taux), elle retient que la condition suspensive devait être réputée accomplie. L’acquéreur, dès lors, était tenu à l’exécution du compromis.

Mais surtout, la cour rejette fermement la mise en cause de l’agent. Elle juge que :

« Il n’entrait pas dans les obligations de [l’agent immobilier] dans le cadre du suivi du dossier de vérifier la conformité des demandes de crédit aux termes du compromis, ni d’attirer l’attention de [l’acquéreur] sur les conséquences du défaut d’obtention du financement. »

Elle ajoute :

« [L’acquéreur] a signé le ‘compromis’ et était donc informé de la condition suspensive et des conséquences en cas de défaillance dans l’obtention du financement. En outre, le notaire a adressé plusieurs courriels à [l’acquéreur] relatifs aux offres de prêt et en dernier lieu lui a indiqué le 25 juin 2020 que le courrier électronique du courtier n’était pas suffisant pour justifier d’un refus de prêt. »

Ce dernier motif n’est cependant que « surabondant », laissant la première affirmation comme cause décisive de la décision d’exonérer l’agent de toute resposnsabilité.

En pratique

Il serait dangereux de lire cette décision comme une tolérance ou un relâchement. Elle n’est ni l’une, ni l’autre. Elle trace une frontière, que la pratique a parfois tendance à flouter : celle qui sépare l’accompagnement commercial de la prise en charge de la conformité juridique ou bancaire.
Cette ligne de partage n’est pas arbitraire : elle s’enracine dans le droit de la vente lui-même. La mission de l’agent immobilier s’inscrit dans le cadre d’un contrat dont l’objet est la rencontre des volontés sur la chose et le prix. L’intermédiation est structurée autour de ce noyau. Le financement, en revanche, relève d’un autre domaine : celui des conditions personnelles de l’acheteur, de son rapport au crédit, de ses marges de négociation ou de renoncement.

Il est loisible à un agent d’alerter, à titre préventif, sur les exigences du compromis. Mais cela ne crée ni obligation de conseil, ni devoir de surveillance. Il ne lui appartient ni de vérifier, ni de garantir que les demandes de prêt respectent les termes de la clause suspensive. Il ne saurait non plus être tenu d’anticiper les effets d’un refus, sauf à sortir de son rôle — et à assumer des responsabilités qui ne lui incombent pas.
Cette limite est saine. Elle protège le professionnel, bien sûr, contre une extension incontrôlée de sa responsabilité. Mais elle protège aussi la cohérence du contrat, en évitant que chaque partie ne reporte ses choix ou ses lacunes sur d’autres intervenants.

Ce que cette décision rappelle, en creux, c’est qu’un professionnel bien formé n’est pas celui qui cherche à tout maîtriser, mais celui qui sait distinguer ce qu’il doit garantir de ce qu’il doit laisser à la responsabilité d’autrui.
C’est cette lucidité – et non l’empilement de précautions – qui fonde la solidité d’une pratique.

* CA Colmar, ch. 2 a, 15 mai 2025, n° 22/03874