Concours de plusieurs agents à une opération immobilière et répartition des honoraires

Dans un contexte fortement concurrentiel, il peut arriver que plusieurs agents immobiliers s’entendent pour favoriser la conclusion d’une transaction. Mais l’expérience démontre que cette entente se fait de manière plus ou moins formalisée. Et bien entendu, lorsque rien n’a été écrit, c’est au moment de percevoir les honoraires que les difficultés risquent de survenir, tant est grande la tentation, pour l’un ou pour l’autre, de « tirer la couverture à lui ». C’est alors à la Justice qu’il revient d’arbitrer la répartition des honoraires, à l’abri des principes d’ordre public posés par la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970, dite « Loi Hoguet » qui n’a pas réglementé cette situation.

Tel est le cas dans une espèce ayant donné lieu à un arrêt de la Cour de cassation du 11 mai 2022, dans lequel la haute juridiction donne des éléments de solution.

Les faits de l’espèce

Le propriétaire d’un bien immobilier avait confié à un premier agent un mandat de vente sans exclusivité, par un prix de 499 000 € moyennant une rémunération de 20 000 €. Dans le cadre de ce premier mandat, un couple d’acquéreurs fait une première visite. Le jour même de cette visite, le vendeur signe un autre mandat sans exclusivité avec un second agent immobilier, présenté par son confrère, pour le même prix, et moyennant une rémunération fixée à 4%, donc quasi équivalente. Quelques jours après, une seconde visite du même couple d’acquéreurs a lieu, en présence du second agent immobilier. A la suite de cette nouvelle visite et donc sous l’impulsion semble-t-il de ce dernier, les acquéreurs formulent auprès de chacun des agents une offre « au prix ». Le second agent fait alors signer aux acquéreurs un « compromis », assorti d’une clause intitulé « Négociation » prévoyant la répartition de la rémunération à la charge du vendeur à hauteur de 75 % pour lui, et de 25% pour le premier.

En présence des deux agents, le notaire établit d’abord une promesse de vente rappelant l’historique de la négociation, faisant état de la revendication de chacun d’eux sur la totalité de la commission convenue aux mandats, et prévoyant une consignation de celle-ci à défaut d’accord au jour de l’acte réitératif,. Ce qui se produit effectivement.

Par suite, une action en Justice est engagée, dans le cadre de laquelle la Cour d’appel de Lyon, par un arrêt du 2 mars 2021 approuvant la solution donnée par le Tribunal de Grande Instance, procède à un partage par moitié.  Le second acquéreur forme alors un pourvoi en cassation, estimant que c’est par sa seule entremise que la vente a été conclue.

La solution

Statuant sur ce pourvoi, la Cour de cassation juge que, compte tenu des constatations de la Cour d’appel de Lyon, celle-ci en a justement déduit que « les deux agences avaient participé à la vente effectivement conclue et ce, sans qu’il ne fût démontré que l’activité de l’une ait été plus essentielle et déterminante que celle de l’autre ».

Si le principe posé, a priori simple et audible, est celui d’une répartition par moitié, c’est à la faveur du rejet de l’interprétation faite par le second agent immobilier de l’article 6 de la loi Hoguet réglementant les honoraires de l’agent. Selon cette interprétation, la commission ne serait due « qu’à celui par l’entremise duquel l’opération a été effectivement conclue », cet élément devant être apprécié en fonction de la chronologie, puisque c’est ce second acquéreur qui était présent lors de la seconde visite à l’issue de laquelle l’offre au prix a été faite par les acquéreurs.

La position de la Cour de cassation est donc différente. Sa solution prend appui sur les constatations opérées par la Cour d’appel quant à la dualité des contributions des agents à la réalisation de l’opération, sans que l’on puisse réellement dire si l’un d’entre eux a été plus déterminant que l’autre. Et, de fait, le constat est le suivant : sans le premier agent, pas de présentation de l’acquéreur ; mais sans le second, pas de finalisation. Les deux sont essentiels. Tout comme le sont, dans la chose, la forme et la matière, selon la distinction issue de la pensée d’Aristote. Mais ici, point de philosophie : il s’agit, à l’évidence, d’une position d’équité et conforme à l’éthique des affaires, dans la mesure où, les deux agents ayant été indispensables, l’attribution exclusive de la commission à l’un impliquerait de sacrifier l’autre.

Mais, selon la réserve d’interprétation posée par la Cour, il pourrait en aller autrement s’il était démontré que l’activité de l’un a été « plus essentielle et déterminante que celle de l’autre ». La charge de la preuve reviendrait alors aux agences, mais ce serait sans doute une preuve impossible dans le cas d’une répartition des rôles telle que celle qui a donné lieu aux faits de l’espèce. On peut cependant imaginer d’autres situations, dans lesquelles un agent ne viendrait qu’en renfort d’un autre, qui aurait amené le client et aurait finalisé avec lui. Dans ce cas, y aurait-il une attribution exclusive à l’un des agents ? Ou une pondération en fonction de la contribution effective, c’est-à-dire de la qualité et/ou de la quantité des efforts fournis ? Voilà qui promet assurément de beaux jours aux plaideurs !

Moralité

Plutôt que de s’en remettre à « la sagesse des juges » – ce qui n’est que l’autre nom de « l’aléa judiciaire » –, il vaut évidemment mieux que des agents appelés à concourir à une même opération fixent dès le départ la règle du jeu en déterminant par avance la répartition de la rémunération. Ce qui permet d’éviter les fâcheries entre professionnels et favorise au contraire les coopérations, dans l’intérêt bien compris de tous.

Cass. 1ère civ., 11 mai 2022, pourvoi n° 31-15943