Entre commission et indemnisation : l’agent immobilier face à l’acquéreur qui se dérobe
La loi Hoguet est sans concession : la commission de l’agent immobilier n’est due qu’à des conditions précises, au premier rang desquelles la réitération par acte authentique lorsque le mandat le prévoit.
Mais que se passe-t-il lorsque la vente échoue, non pas pour une raison neutre, mais par la faute de l’acquéreur qui se dérobe ?
Illustration avec un contentieux de six-ans et demi, entre la Cour d’appel de Caen, la Cour de cassation et la Cour d’Appel de Rouen.
L’affaire
Un compromis de vente avait été signé entre deux parties, avec à la clé une commission de 84 000 € TTC pour l’agent, exigible uniquement à la réitération par acte authentique.
Toutes les conditions suspensives ayant été levées, la vente devait se concrétiser. Mais l’acquéreur, sans motif légitime, s’est finalement soustrait à son engagement : il a refusé de se présenter chez le notaire pour réitérer la vente. Ce retrait brutal, intervenu après que l’agent avait accompli toutes ses diligences et suivi la transaction pas à pas, a provoqué l’échec définitif de l’opération.De fait, le vendeur a fait le choix de poursuivre l’exécution forcée de la vente et choisi de réclamer à à l’acquéreur le paiement de la clause pénale prévue dans le protocole, puis de transiger dans des conditions qui sont ignorées,
Privé de sa commission, l’agent a alors saisi le Tribunal judiciaire de Caen, qui le déboutede ses prétentions.
En appel, la cour d’appel de Caen, par un arrêt du 6 décembre 2022, a refusé la commission mais octroyé des dommages-intérêts à hauteur de 84 000 €.
La Cour de cassation, statuant par arrêt du 20 juin 2024, a cassé partiellement, renvoyant l’affaire devant la cour d’appel de Rouen, qui a rendu son arrêt le 18 septembre 2025, .
La solution
La Cour d’appel de Caen applique strictement la loi Hoguet :
- L’article 6 de la loi du 2 janvier 1970 prévoit, entre autres dispositions,’qu’aucun bien, effet, valeur, somme d’argent, représentatif d’honoraires, de frais de recherche, de démarche, de publicité ou d’entremise quelconque, n’est dû aux personnes indiquées à l’article 1er (les agents immobiliers) ou ne peut être exigé ou accepté par elles, avant qu’une des opérations visées audit article ait été effectivement conclue et constatée dans un seul acte écrit contenant l’engagement des parties.
- Il en résulte qu’aucune commission ne peut être exigée ni même acceptée par l’agent immobilier ayant concouru à une opération qui n’a pas été définitivement conclue, et ce, quand bien même toutes les conditions, notamment suspensives, étaient réunies pour qu’elle le soit.
Constatant que l’acte authentique n’a pas été signé, elle refuse donc le paiement de la commission de 84 000 € TTC.
Mais elle admet que l’acquéreur, en refusant fautivement de réitérer la vente après avoir signé le compromis et vu les conditions suspensives levées, engage sa responsabilité.
Elle condamne l’acquéreur à verser 84 000 € de dommages-intérêts, soit le montant TTC de la commission prévue.
Dix-huit mois plus tard, la Cour de cassation confirme le refus de commission, principe intangible,
Elle censure tout de mêmel’arrêt de Caen pour défaut de base légale :
- Aux termes de ce texte, en cas de défaillance de la condition suspensive, l’obligation est réputée n’avoir jamais existé.
- 10. Pour condamner le mandant à payer des dommages-intérêts au mandataire, l’arrêt retient que ce dernier justifie de la levée de l’ensemble des conditions suspensives stipulées dans le protocole relatives aux éléments cédés et relève que le mandant ne s’est pas prévalu de l’absence de réalisation d’autres conditions suspensives.
- 11. En se déterminant ainsi, alors que, dans ses conclusions, le mandant faisait valoir que la réalisation des conditions suspensives devait intervenir au plus tard le 30 septembre 2018, et que le mandataire ne justifiait pas de la levée de l’ensemble des conditions suspensives mais seulement de la levée de deux nantissements en décembre 2018 et d’un état des inscriptions au 10 février 2020, la cour d’appel, qui s’est abstenue de préciser à quelles dates elle retenait la réalisation des conditions, n’a pas donné de base légale à sa décision.
Statuant sur renvoi, la cour d’appel de Rouen reprend le dossier dans le détail.
Reprenant en totalité l’arrêt de la Cour de cassation, elleconfirme que la commission n’est pas due, mais retient la faute de l’acquéreur, qui s’est dérobé sans motif valable après levée des conditions suspensives.
Elle fixe alors l’indemnisation à 70 000 €, soit le montant hors taxes de la commission prévue.
Ce choix marque une distinction nette : ce n’est pas le paiement d’une commission, mais la réparation du manque à gagner subi par l’agent, dont les diligences et l’entremises sont établies.
👉 Au final, l’agent a donc obtenu une indemnité équivalente à sa commission HT, mais amputée de la TVA, privée des intérêts légaux substantiels qu’elle aurait produits le temps de la procédure, et grevée par les coûts et délais d’une procédure de six ans et demi.
👉 On notera que la question d’une clause pénale ne s’est pas posée. Si elle avait été prévue dans le compromis au bénéfice de l’agent et rédigée sans contradiction avec la condition de réitération, elle aurait pu sécuriser le montant TTC en tant que sanction contractuelle. Faute d’une telle stipulation, seule la voie délictuelle restait ouverte.
En pratique
Ce long contentieux rappelle trois enseignements essentiels pour les agents immobiliers :
- D’abord, la rigueur de la loi Hoguet : tant que l’acte authentique n’est pas signé, aucune commission ne peut être réclamée ni perçue, même si toutes les conditions suspensives sont levées et que l’acquéreur est seul fautif.
- Ensuite, l’existence d’un recours malgré tout : l’agent peut obtenir des dommages-intérêts en réparation de son préjudice, à condition de démontrer deux éléments précis : d’une part, sa propre diligence dans la réalisation de l’entremise ; d’autre part, la faute caractérisée de l’acquéreur, qui s’est soustrait à son engagement.
- Enfin, la réalité économique du contentieux : la réparation n’efface ni le temps perdu, ni les coûts de la procédure, ni la perte d’intérêts que la commission aurait normalement générés. Autrement dit, si le droit reconnaît à l’agent une indemnisation, celle-ci reste une compensation imparfaite, loin de la sécurité qu’apporterait le versement effectif de la commission.
* CA Caen, 1re ch. civ., 6 déc. 2022, n° 21/00985.
** Cass. 3e civ., 20 juin 2024, n° 23-12.106.
*** CA Rouen, ch. civ. et com., 18 sept. 2025, n° 24/02869.